septembre-octobre 2014

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édito
Questions pour demain

Qu’il s’agisse du nouveau cycle politique ouvert dans l’Ouest par les municipales ou bien du surprenant retour du religieux dans le débat public, ce numéro explore quelques-unes des questions essentielles sur la manière dont, demain, nous vivrons ensemble, ou pas.

Au plan national, une victoire historique pour la droite. Elle est compensée, en partie, au plan régional, par une bonne tenue de la gauche qui garde les principales villes de l’Ouest. Au-delà de ce constat, nous avons voulu nous tourner vers l’avenir, recenser les défis auxquels sont confrontés les nouveaux élus, nous interroger sur la période politique ouverte par les élections municipales de mars 2014.
Thierry Guidet les replace dans leur contexte historique. Les municipales de 1977 avaient vu la conquête par la gauche de la quasi-totalité des grandes villes de l’Ouest. Une région traditionnellement conservatrice allait se muer en contrée résolument à gauche comme l’a notamment montré la conquête de la Bretagne et des Pays de la Loire en 2004. Cette marée rose était la traduction politique d’un immense mouvement de rattrapage de l’Ouest sur les plans démographique, économique, social, culturel… Au moment où un cycle générationnel se referme, toute la question est de savoir à quoi va ressembler la période qui s’ouvre: maintien des positions de la gauche? Revanche de la droite? Dissolution des valeurs et des alliances qui faisaient la particularité de l’Ouest?
Pour répondre à ces questions, on trouvera matière à réflexion dans les cartes que publie et commente le géographe Jean Rivière. Il fait œuvre pionnière en établissant, bureau de vote nantais par bureau de vote, le lien entre les comportements électoraux et le profil social des habitants. On y vérifie que les villes conservent un caractère socialement composite. Et que pour les gouverner, il faut réaliser ce qu’on appelait naguère des alliances de classes. Le problème est de savoir dans quelle mesure la crise économique et sociale remet en cause les recettes du passé, et notamment l’alliance entre l’électorat populaire et les couches moyennes supérieures qui a fait les beaux jours du socialisme municipal dans les villes de l’Ouest.
En effet, la montée de l’abstention témoigne d’une véritable crise démocratique. Entre des habitants, davantage consommateurs de leur ville que citoyens, et des élus, convaincus de leur compétence et de leur dévouement, le fossé se creuse. Jean de Legge, qui fut le directeur de la communication de la ville de Rennes et de Rennes Métropole, propose des pistes pour revitaliser la scène politique locale.
Le politiste Goulven Boudic creuse le même sillon en interrogeant la démocratie participative que certains élus semblent tenir pour une baguette magique. En réalité, plus que l’opposition entre démocratie participative et démocratie représentative, la vraie question est celle de l’invisibilité croissante des catégories populaires quels que soient les dispositifs mis en œuvre.
Dernier élément de réflexion sur la crise démocratique, un entretien avec le géographe Martin Vanier qui montre bien comment la crise territoriale – l’écart croissant entre les territoires politiques et les territoires réels – redouble et aggrave les troubles de la représentation. Résolument à contre-courant en cette période de refonte régionale, il a cette formule frappante
: « S’en prendre à la complexité territoriale, c’est comme reprocher au cerveau sa complexité neuronale! »
Deuxième défi
: la crise financière. L’économiste Maurice Baslé l’affirme sans ambages: les dotations de l’État aux collectivités locales vont continuer à baisser. Dès cet automne, les nouveaux élus vont devoir se montrer créatifs pour faire aussi bien, voire mieux, avec moins. En complément à cette présentation, on lira le témoignage d’un homme de terrain, Olivier Richard, qui vient de passer la main après avoir été adjoint aux Finances de Saint-Nazaire pendant un quart de siècle.
Troisième défi: la crise politique, c’est-à-dire la situation instable dans laquelle se retrouvent les principaux partis après les municipales et les européennes. Frédéric Sawicki, spécialiste de l’étude des partis politiques et notamment du Parti socialiste, peint sans fard l’étendue du désastre pour la gauche. « Tout est à reconstruire! », lance-t-il en appelant les élus locaux de gauche à ne pas se contenter de gérer mais à refaire vraiment de la politique.
Tête de liste de la principale liste de droite à Nantes, Laurence Garnier expose sa stratégie de reconquête. Elle mise sur un travail de terrain dans les quartiers populaires, sur la construction d’une offre capable de séduire les classes moyennes et sur la rupture de l’alliance entre socialistes et écologistes.
Ce n’est pas du tout le scénario auquel croit la tête de liste écologiste Pascale Chiron. « Jamais je ne ferai passer la droite
! », affirme-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas de faire entendre sa petite musique: les écologistes ne peuvent pas être « une simple variable d’ajustement » au sein de la gauche; le changement, c’est pour tout de suite…
Enfin, nous avons interrogé les deux maires des principales villes de Loire-Atlantique, élus l’un comme l’autre en mars. Il s’agissait, dans ces entretiens, de leur demander comment ils entendent relever les défis décrits tout au long de ce dossier.
La Nantaise Johanna Rolland avait abondamment utilisé le terme de « nouveau cycle » pendant sa campagne. C’est avant tout, s’explique-t-elle une manière de prendre en compte les changements de la ville et du monde depuis le cycle de 1977. De prêter aussi une oreille attentive aux nouvelles attentes des citoyens. Ne déclare-t-elle pas
: « s’attaquer à la difficile question de l’abstention est certainement l’une des responsabilités majeures de ma génération »?
David Samzun ne cache pas son inquiétude devant la montée du Front national qui compte maintenant des élus à Saint-Nazaire, une ville à forte tradition ouvrière. Il ne dissimule pas non plus sa perplexité à l’égard de la politique gouvernementale. Ce qui le conduit à voir dans les élus locaux « le dernier rempart contre les extrêmes. »
Chacun des deux maires parle à sa manière, selon son style et la situation locale. Mais ils ont au moins en commun cette volonté de voir dans le local l’un des lieux d’expérimentation susceptibles d’irriguer et de transformer demain la politique nationale. Vaste programme
!

*


Un ensemble plus restreint suit ce dossier. À la charnière du politique et du religieux, il met en évidence tout l’intérêt d’actualité du programme européen sur les minorités religieuses en Europe au Moyen Âge, piloté depuis Nantes par l’historien John Tolan. Ce dernier a déjà eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises dans ces colonnes. Une soirée grand public, à Nantes en octobre, à laquelle s’associe
Place publique sera d’ailleurs l’occasion de débattre de ce retour en force du religieux dans le débat citoyen.
Les contributions que nous publions peuvent être lues comme une introduction à ce débat. Un texte de John Tolan d’abord, sur la manière dont chrétiens, juifs, musulmans ont finalement réussi à vivre ensemble pendant quinze siècles en Europe. Spécialiste d’histoire des religions, Dominique Avon décrit comment les diverses confessions font face depuis deux siècles au choc de la modernité. L’universitaire londonienne Maleiha Malik croit pouvoir déceler une continuité entre la persécution des hérétiques au Moyen Âge et la pénalisation du port du voile islamique dans la France contemporaine. Ce texte hérissera sans nul doute quelques-uns de nos lecteurs (et de nos lectrices…), mais il a le mérite de décentrer le regard dans l’espace et dans le temps. Enfin, Jean Baubérot assure que la laïcité à la française a perdu de son caractère libérateur, à tel point que Marine Le Pen peut se présenter comme sa championne. Il est donc urgent de refonder la laïcité.