été 2017

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édito
Le Musée d’arts est né,
et après ?

Le rendez-vous a donc bien eu lieu: en ce dernier week-end de juin Nantes a retrouvé son musée – qui a évacué de sa dénomination les «beaux-arts» pour leur substituer les «arts». Après une si longue absence, six années de fermeture et de travaux, 90millions d’euros investis dans cette rénovation-extension, le public a retrouvé le chemin de la rue Georges-Clemenceau pour y (re)découvrir un musée reformaté, remodelé, transformé et, disons-le, très réussi. Des retrouvailles attendues à en croire la longue file de visiteurs patientant à l’entrée. Mais au-delà de la découverte, quel projet pour le Musée d’arts, destiné à quels publics?

Il s’est ouvert à la ville, s’offre aux visiteurs et aux curieux: exit les grilles intimidantes, gardiennes qui se dressaient devant le palais, flotte désormais dans l’air comme une invite à monter les marches et à pousser les portes. Sophie Lévy, la directrice du Musée d’arts, s’est installée à Nantes à l’été 2016 en provenance de Lille, moins d’un an avant la réouverture, quelques mois après le départ de Blandine Chavanne, la précédente directrice partie en claquant la porte alors que le chantier entrait dans la dernière ligne droite. Dans l’entretien accordé à Place publique, Sophie Lévy s’affirme «rassurée» par les retrouvailles de la ville avec le musée et estime que les paris liés à la réouverture – comme l’accrochage d’œuvres contemporaines parmi des tableaux anciens, ou inversement – ont été gagnés.
Elle nous présente également son projet d’un musée contemporain et ouvert, un «
instrument de proximité» et de transmission où chacun est susceptible de se rendre, que ce soit pour une visite, écouter un concert (le musée est équipé d’un petit auditorium) ou tout simplement partager un verre entre amis. Foin de l’élitisme, le musée se transforme en lieu de rendez-vous et se veut une carte maîtresse dans la bagarre qui désormais oppose les métropoles, celle de l’attractivité touristique. Le Musée d’arts a pour ambition d’attirer 200 000 visiteurs annuels en vitesse de croisière. Ils étaient 120 000 avant la fermeture. Sophie Lévy est passée par une grande école de commerce et elle n’hésite plus à dire que diriger un musée aujourd’hui, relève aussi de la direction d’une (petite) entreprise.
Entre l’annonce du projet et la réouverture, c’est une histoire de dix années ou presque
: Paul Cloutour nous raconte comment le projet de rénovation du Musée des beaux-arts a été lancé par Jean-Marc Ayrault qui l’avait inscrit dans son programme lors de sa campagne pour l’élection municipale 2008. Définition du projet architectural, conduite de projet complexe, aléas du chantier – les veines d’eau souterraines qui le chamboulent –, finalisation par les élus de la «feuille de route» du futur musée entre publics locaux et touristes… Près de dix ans donc, autant que celui du Musée des beaux-arts de Lyon, un peu plus que celui de Nancy, quatre années de plus que Lille – ce musée «frère» du musée nantais, en plus monumental.
Économiste de la culture, Jean-Michel Tobelem précise ce que doit être le musée contemporain et les enjeux pour les métropoles. Il rappelle au passage que les citoyens attendent d’abord et avant tout d’un musée qu’il remplisse ses fonctions culturelle, artistique, scientifique et éducative: «C’est pour cela qu’ils le financent, c’est pour cela que les Nantais paient des impôts.» Quant aux élus, dès lors qu’il est acté que le musée répond aux besoins des citoyens, ils en exigent aussi du «rayonnement», de la création de valeur sur les plans touristique, économique et d’image. Et pour Jean-Michel Tobelem, ce rayonnement a un prix – élevé –, celui de monter des expositions de rang national ou même européen, avec des œuvres dont les coûts de transport et d’assurance se révèlent… prohibitifs.
Place publique a choisi de regarder ailleurs, de voir comment deux autres villes françaises ont «géré» la décentralisation d’un musée sur leur territoire: le Centre Pompidou à Metz (2010) et le Louvre à Lens (2012). Géographe à l’université de Lorraine, Mathias Boquet a travaillé sur les publics de ces deux musées accueillis par deux villes qui escomptaient un «effet Bilbao» avec son Guggenheim. Il tire un bilan nuancé de ces premières années. Si Metz a conçu l’implantation du musée sur une friche proche de la gare objet d’un projet urbain, le Louvre Lens tient plus du parachutage. L’inscription dans la ville est plus complexe et les visiteurs ne font, souvent, que passer.
Gerhard Krauss, sociologue à l’université de Rennes 2, estime que «
l’encastrement social» réussi d’un musée compose une des clés d’explication de son succès. Pour prospérer, un musée doit d’abord s’appuyer sur les multiples réseaux qui irriguent une ville, une métropole et une région et les intégrer. Le chercheur pointe aussi du doigt la sous-fréquentation d’une majorité de musées alors que ces derniers se multiplient: le premier pas vers un déclin annoncé.
Retour à Nantes. La Société des amis du Musée est bientôt centenaire et garde l’œil vif. C’est elle qui, entre autres et grâce au mécénat, enrichit la collection du musée en œuvres contemporaines
: dix-sept ont ainsi été achetées durant la fermeture du musée. Le président de la Société des amis, Jean-Marc Cuault, évoque le rôle de cette vieille dame au sein du nouveau Musée d’arts.
Notre dossier se termine en élargissant le regard
: Le sociologue Laurent Devisme, professeur à l’École d’architecture de Nantes, analyse la partie en cours en matière de centralité de la culture à Nantes. Un puzzle dont le Musée d’arts est une pièce, majeure certes, qui s’insère en lisière de la future déambulation en cours d’assemblage sous nos yeux, de la gare à la Loire et même au-delà, jusqu’au Bas-Chantenay sur lequel veilleront les branches de l’Arbre aux hérons. Si la place des principales pièces du puzzle est aujourd’hui connue, il en est une qui s’apprête à bouger sans connaître encore le lieu de sa future destination, Le Cinématographe, «cette quasi cinémathèque» associative abritée près du château et appelée à déménager. Laurent Devisme plaide pour que le cinéma garde une place centrale. Dans l’ex-École des Beaux-arts qui a effectué sa première rentrée sur l’île de Nantes?
Ce numéro # 64 de
Place publique, le deuxième de notre nouvelle formule avec fréquence trimestrielle et maquette revisitée, compte également un entretien avec Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole. Un entretien pour lequel nous nous sommes associé au blog Les États et Empires de la Lune animé par Éric Chalmel, FRAP pour son pseudonyme de dessinateur, qui le diffuse également. Johanna Rolland a répondu à nos questions durant plus de trois heures, un entretien au long cours donc. Elle y dresse un premier bilan à mi-mandat, raconte comment fin 2016 Emmanuel Macron a tenté de l’enrôler sous la bannière d’En marche, affirme que sa majorité de gauche (très) plurielle reste solide en cette période de recomposition politique, précise ce que recouvre la «nature en ville» pour elle et comment elle compte verdir encore Nantes, ouvre le grand chantier culturel de l’après Jean Blaise, vante l’alliance avec Saint-Nazaire… et annonce d’un mot et d’un seul qu’elle sera candidate à un deuxième mandat en 2020. n