mars-avril 2017

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édito

Être ou ne pas être dans son assiette

Se pencher sur son assiette et ce qu’elle contient est dans l’air du temps : manger bien, manger mieux. L’approvisionnement alimentaire des villes, les circuits suivis par les productions et la qualité de ces productions, figurent désormais à l’agenda des élus et de citoyens motivés. Quel état des lieux pour la métropole nantaise qui s’est engagée en faveur d’une « alimentation urbaine durable » en signant en 2015 le Pacte de Milan en compagnie de 110 villes ?

Professeure de géographie à l’université de Nantes, Christine Margetic connaît les campagnes de Loire-Atlantique comme sa poche – ainsi d’ailleurs que celles du Nord dont elle est originaire et sur lesquelles elle est intarissable. Elle travaille depuis des années sur les circuits courts, les produits bio, la multiplication des Amap [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne], la «relocalisation» des productions agricoles au plus près des centres de consommation…
Dans un long entretien qui ouvre notre dossier autour de l’interrogation «Comment mieux nourrir la ville?», elle précise les contours de la production agricole du département, d’une grande diversité, et souligne combien la mise en place d’une distribution de proximité est aussi affaire d’engagement des agriculteurs: car ce n’est pas parce qu’une exploitation est localisée à la périphérie de la ville centre que la mise en place d’un circuit court va de soi. Il s’agit d’abord d’une conviction, pas forcément partagée par l’ensemble des exploitants…
L’universitaire détaille également comment la grande distribution sait s’adapter à l’émergence de ces nouveaux modes de distribution des productions. Car les supermarchés et hypermarchés font aussi dans le circuit court. Les stratégies marketing sont à l’œuvre.

Le goût et la diversité alimentaire s’apprennent dès le plus jeune âge. Les restaurants scolaires participent grandement, avec les familles, à cette éducation. La cuisine centrale qui nourrit les écoles publiques de Nantes fournit quotidiennement de 14
000à 15000 repas. Son directeur, Patrick Offertelli, nous explique comment, peu à peu, il introduit des aliments bio dans les repas servis. Car servir un yaourt bio local à près de 15 000 enfants n’a rien d’évident et demande toute une organisation. Du côté des 72 collèges de Loire-Atlantique, le bio est également mis en avant, ainsi qu’une «cuisine alternative» qui permet aux élèves de découvrir des repas végétariens, comme le chili sin carne. Le conseiller restauration du Département, Nicolas Leblanc, convoque également dans les menus des légumineuses oubliées qui, au détour d’une assiette, permettent aux collégiens de découvrir d’autres horizons.

La métropole nantaise prépare son Projet alimentaire territorial et se revendique «
métropole agricole», près de 250 exploitations étant installées sur son territoire. Dominique Barreau, qui porte ce projet depuis des années pour la collectivité, explique en quoi il consiste et combien il est nécessaire au préalable de mieux connaître les rouages complexes de ce système alimentaire. À titre d’exemple, une étude menée voilà quelques années a montré que l’agglomération produisait, grosso modo, autant de poulets qu’elle en consommait. La (vaste) interrogation étant que seuls 5% de ces poulets élevés sur place étaient «tracés». Quid des autres? Où partaient ces poulets «nantais» si tant est qu’ils quittaient la métropole?

Un détour du côté du droit. La juriste Marine Friant-Perrot, de l’université de Nantes, montre combien le recours au droit est peu utilisé pour essayer de contrer les stratégies marketing des industriels de l’agro-alimentaire. Alors que le surpoids et l’obésité dus à une mauvaise alimentation gagnent du terrain – et coûtent cher à la collectivité –, elle plaide pour qu’une politique alimentaire soit véritablement définie, nécessitant un dialogue entre le ministère de la Santé et celui de l’Agriculture, actuellement inexistant ou presque.

Le restaurant social Pierre-Landais est situé au cœur de l’île de Nantes. Depuis bientôt soixante-dix ans il offre le gîte et le couvert aux plus démunis. Nous avons assisté à un déjeuner et son responsable, André Lebot, a expliqué à
Place publique combien s’il est important de caler les estomacs, il attache aussi de l’importance à nourrir les esprits en proposant aux «passagers» du lieu de participer à des activités culturelles.

S’il est une tradition française, c’est bien celle de la gastronomie et de l’art de recevoir. L’historien Didier Guyvarc’h a exploré les menus des repas officiels servis à la mairie de Nantes depuis le 7novembre 1859 jusqu’au 15janvier 1983, lorsque Jack Lang, alors ministre de la Culture, s’est déplacé à Nantes pour inaugurer les salles rénovés du Musée des Beaux-arts – mais il n’avait finalement pas rejoint le repas.
Notre dossier se referme sur un texte du philosophe et poète Jean-Claude Pinson
: les souvenirs de son enfance à Saint-Sébastien-sur-Loire et de la lamproie, ce monstre de Loire, préparée par son grand-père puis cuisinée par sa grand-mère remontent à la surface. Il y est question d’une improbable préparation au beurre blanc.

Ce numéro comporte également un autre dossier, dans les pages «Patrimoine»: il est consacré à l’exposition en cours au Château de Nantes, «Aux origines du surréalisme» qui suit les traces laissées par un groupe de talentueux trublions du Lycée de Nantes, l’actuel lycée Clemenceau, emmenés par Jacques Vaché, celui qui deviendra une icône du surréalisme et du «premier» des surréalistes, André Breton. L’universitaire nantais Patrice Allain et son collègue Thomas Guillemin nous dévoilent dans Place publique ce que fut l’enfance de Jacques Vaché, avec nombre d’archives inédites.