septembre-octobre 2016

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édito

Sécurité, les maires s’exposent

Un glissement qui s’opère, du central au local, une redistribution des cartes de la sécurité qui se joue engagée voilà une trentaine d’années. La police fut d’abord et longtemps placée sous l’autorité du maire, avant d’être étatisée par le régime de Vichy en 1941 qui voulait une police à sa main. Si dans l’imaginaire français, la sécurité passe par une police qui ne saurait être que « nationale », les polices municipales montent en puissance et les villes s’équipent en vidéosurveillance. Les maires signent leur retour sur les questions de sécurité : à Nantes, une Maison de la tranquillité publique ouvre à l’automne et les effectifs de la police municipale gonflent. Quant à Saint-Nazaire, longtemps rétive à s’engager sur ce terrain-là, elle vient de créer une police municipale et opte pour la vidéoprotection.

L’État n’a donc plus le monopole de la sécurité des Français et face à la demande de sécurité qui monte, ce sont les villes et les élus locaux qui se retrouvent en première ligne – sans oublier le secteur privé. Chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), Tanguy Le Goff travaille sur la gouvernance locale de la sécurité et les technologies de surveillance. Il a suivi de près le retour des villes sur les questions de sécurité, favorisé par le désengagement progressif de l’État et le coup d’arrêt donné à la police proximité par Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’est installé au ministère de l’Intérieur en 2002 après la réélection de Jacques Chirac. Tant et si bien que dans de nombreuses villes, la police nationale sollicite les moyens dont dispose la police municipale, en particulier en matière de vidéosurveillance. Dans la coproduction de la sécurité entre l’État et les collectivités, si le premier a longtemps donné le «la», les rapports tendent à s’équilibrer.

Police municipale de droite vs. police municipale de gauche: les clivages politiques traditionnels sont-ils à l’œuvre? Tanguy Le Goff ne voit guère de différences entre l’une et l’autre; le politiste Goulven Boudic examine cette dépolitisation supposée et constate des clivages singulièrement brouillés. Il rappelle qu’en 2008 le socialiste Jean-Marc Ayrault avait fait du refus de la vidéosurveillance un des arguments de sa campagne pour les élections municipales quand son voisin Charles Gautier, maire socialiste de Saint-Herblain, en vantait les résultats sur sa commune…

Si Saint-Herblain a figuré parmi les villes pionnières en matière de vidéosurveillance, la technologie s’est depuis développée et les vendeurs de ces systèmes promettent même des caméras capables de détecter des comportements suspects. L’universitaire nantaise Virginie Gautron pointe l’absence d’évaluation sérieuse en France – contrairement par exemple à la Grande-Bretagne – des résultats de la vidéosurveillance, inopérante en matière de prévention et dont les coûts de fonctionnement demeurent élevés et pèsent sur les budgets municipaux. Elle dénonce également un abandon progressif de la prévention sociale qui dispose de moins en moins d’argent.

Paul Cloutour et Franck Sina ont été directement impliqués dans la mise en œuvre des politiques de prévention de la délinquance à Nantes et à Saint-Herblain, après l’élection de François Mitterrand, et de leurs évolutions en fonction des alternances politiques. Ils font le récit à deux voix de ces trente-cinq années qui ont fini par voir les enjeux sécuritaires prendre le dessus.

Gilles Nicolas est adjoint à la sécurité et à la tranquillité publique à Nantes. C’est lui qui a porté pour Johanna Rolland la création de la Maison de la tranquillité publique, installée à la Manufacture des tabacs et qui ouvrira à l’automne. Assumant ses choix, il est aussi commissaire de police retraité et c’est en tant que policier détaché recruté par Jean-Marc Ayrault en 2004 qu’il avait créé la direction de la sécurité et de la tranquillité publique au sein de l’administration municipale. Une double casquette en quelque sorte et un élu local qui connaît les rouages du ministère de l’Intérieur comme sa poche. Et n’hésite pas à affirmer que les maires doivent prendre la part de pouvoir qui leur revient pour ce qui est des politiques de sécurité.

À Saint-Nazaire, l’élection de David Samzun après plus de trente années d’une vie municipale dominée par la personnalité de Joël Batteux, marque également un changement d’attitude sur les questions de sécurité. L’État n’en est plus désigné seul responsable
: la nouvelle majorité s’engage, au prix de discussions parfois vives, et une police municipale a été créée. Benoît Ferrandon, qui suit le dossier à la Ville de Saint-Nazaire, en détaille la gestation et les enjeux.

Retour à l’Histoire
: Jean-Marc Berlière est un des meilleurs connaisseurs de l’histoire au long cours des polices en France. Pour Place publique, il revient sur la naissance et les aléas de la «police des maires», puisque la police fut d’abord municipale, jusqu’à la rupture de l’État français qui, en 1941, étatise la police pour mieux exécuter ses basses œuvres. Une étatisation jamais remise en cause à la Libération.

Lorsque Place publique a choisi de consacrer son dossier au retour des villes dans le champ de la sécurité, les manifestations contre la loi El-Khomry battaient leur plein en France et plus particulièrement à Nantes. Avec des débordements réguliers, circonscrits au centre-ville, et ciblant le «système»: banques, mairie, assurances, agences immobilières… Alors que le maintien de l’ordre demeure une prérogative de l’État, la maire s’est retrouvée en première ligne, sommée de faire cesser violences et dégradations. L’historien Didier Guyvarc’h revisite des siècles de manifestations et d’émeutes à Nantes et à Saint-Nazaire, le temps long permettent de mieux cerner une éventuelle singularité locale en matière de violences. Le sociologue Gildas Loirand, lui, s’est immergé dans les manifestations pour essayer de comprendre les ressorts de nouvelles formes du maintien de l’ordre et les motivations de ceux qui, en première ligne eux aussi, défient les forces de l’ordre.

Pour cette rentrée, la revue n’a pas voulu rater le quarantième anniversaire de la Tour Bretagne et vous propose un deuxième dossier. Quarante ans que, conçue comme «
une flamme rompant la monotonie du site», elle se dresse sur la ville et a fini par en devenir un des symboles. Jean-Louis Violeau lui consacre sa chronique d’architecture. Gilles Bienvenu, enseignant-chercheur à l’École d’architecture, nous raconte l’histoire de cette enfant des Trente glorieuses. Quant à Gabriel Vitré, qui y travaille depuis plus de vingt ans, il en livre un récit intime, lui qui a connu les bureaux du pied la Tour comme les étages nobles. Une déclaration d’amour à la Tour, malgré ses défauts, nombreux. Ce dossier se termine par un entretien avec Laurent Théry qui a dirigé l’aménagement de l’Île de Nantes et y a mis un peu de hauteur. Ii y évoque comment une tour doit s’inscrire dans le projet d’une ville et être au service de la «qualité urbaine».