juillet-août 2016

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édito

Sous la génération dorée des baby-boomers

Les enfants du baby-boom ont pris des rides et leur retraite. Ils prennent aussi d’assaut les couvertures formatées des magazines: seniors actifs et réactifs, connectés, consommateurs, voyageurs… Les enfants gâtés des Trente glorieuses, dernière génération à profiter de retraites généreuses. Clichés? La France qui vieillit s’avère plus complexe et n’est pas exempte d’inégalités, qu’elles concernent la ville, le logement, la retraite ou la mort.

La France prend de l’âge et le département de Loire-Atlantique ne fait pas exception à la règle. Nous vieillissons et les cohortes de baby-boomers qui partent en retraite accélèrent la cadence. Alors qu’elle entre dans l’après-travail, cette génération que l’on voudrait dorée et promise à un vieillissement heureux découvre aussi des âges de la vie singulièrement brouillés. C’est ce qu’explique la sociologue Cécile Van de Velde qui observe les générations et les inégalités sociales: jusqu’à aujourd’hui, la fin de la vie professionnelle marquait l’entrée dans le troisième temps de la vie, celui de la retraite, plutôt vécu négativement. L’allongement de la vie et des mutations sociétales (les recompositions familiales après 60 ans, la reprise d’études…) ont bouleversé ce modèle. La valse de la vie s’est emballée au point que ses temps ne sont plus aussi marqués. Surtout, la crise est passée par là, avec la récession et ses doses, plus ou moins fortes, d’austérité dirigées d’abord vers les jeunes ou les générations âgées. Au péril, peut-être, d’un conflit de générations, mais aussi d’inégalités croissantes chez les baby-boomers où, par exemple, de plus en plus de femmes ne perçoivent que des retraites modestes en raison de parcours professionnels segmentés, avec des périodes où le travail s’est interrompu.

Où vivent les retraités, quels sont les secteurs de prédilection des personnes âgées
? La carte de la Loire-Atlantique nous montre qu’ils choisissent les grandes villes (Nantes, Saint-Nazaire) et leurs agglomérations et qu’ils s’installent sur le littoral, «colonisant» la presqu’île guérandaise et le Pays de Retz. Comment vivent-ils? L’économiste Hervé Guéry répond avec des chiffres. Si le département reste plutôt protégé de la pauvreté, il a relevé une décrue significative des revenus chez les personnes âgées après 75 ans et des inégalités flagrantes de revenus entre «vieux des villes» et «vieux des campagnes». Il tire également le signal d’alarme sur une donnée qui n’entre pas encore dans le champ des statistiques: l’accroissement de la demande sociale chez les plus de 60 ans annonciateur d’une paupérisation prochaine de certains.

Le politiste Goulven Boudic est allé visiter le fond des urnes pour décrypter les caractéristiques d’un «
vote vieux». Si l’assiduité électorale des plus de 60 ans y est confirmée, des interrogations subsistent sur le conservatisme supposé de cet électorat et sa propension à voter pour ceux qui lui ressemblent, c’est-à-dire ont au moins le même âge ou plus.

Ethnologue et urbaniste, passée par l’agence d’urbanisme de Bordeaux, Marie-Christine Bernard-Hohm a travaillé sur la ville et les personnes âgées. Son constat est sévère d’autant qu’elle reste durablement marquée par une phrase entendue lors d’une réunion sur l’insertion urbaine de la nouvelle ligne de tramway à Bordeaux
: «Les petits vieux? À défaut d’un solarium, on leur fera un sanatorium!» Derrière l’humour apparent, elle souligne la volonté d’exclusion des personnes âgées de la ville qui se doit d’être «seyante» et d’abord conçue pour les jeunes. Et elle appelle à une ville «bienveillante», large, lente, lisse et lisible pour les plus anciens.

Éloignons-nous de la ville. Le philosophe et poète Jean-Claude Pinson nous emmène en bord de mer, là où il s’est posé, et il nous raconte, avec retenue et émotion, avec délicatesse aussi, cette vieillesse balnéaire qui s’ennuie quand même un peu quand ce n’est pas beaucoup. Il nous livre également des souvenirs de jeunesse et d’enfance – et on y apprend que des militants maoïstes qui tentèrent de soulever des campings envisagèrent aussi d’organiser un concert avec Eddy Mitchell pour discréditer la réactionnaire «
Fête de la Moule» de Tharon – et trouve les mots pour nous dire le retrait de son père.

Les personnes âgées souhaitent vieillir chez elles et elles sont d’ailleurs une large majorité à le faire. Mais un type d’habitat, dit «
intermédiaire», se développe, à mi-chemin entre le domicile et la maison de retraite médicalisée. Les universitaires nantais Béatrice Chaudet et François Madoré nous expliquement le développement des résidences-services, porté par de gros promoteurs, particulièrement implantées sur la façade atlantique.

En matière de vieillissement et de personnes âgées, le Conseil départemental à la main puisque la collectivité verse, entre autres, l’Allocation personnalisée d’autonomie. Vice-présidente en charge de ce dossier, Annaig Cotonnec prépare le prochain plan d’actions du Département en faveur des personnes âgées. Alors que la Loire-Atlantique accueille chaque année 4 000 nouveaux arrivants de plus de 60 ans, elle doit composer avec des basses eaux budgétaires, même si la loi d’adaptation de la société au vieillissement permet des compensations financières.

Habitat toujours, puisque le logement est au cœur même du vieillissement, avec de nouvelles propositions qui émergent et peuvent même être à la mode
: c’est le cas de l’habitat participatif qui peut favoriser la cohabitation des générations. La sociologue Nicole Roux détaille cependant combien il peut être complexe pour ses instigateurs de faire aboutir un tel projet entre embûches familiales et obstacles institutionnels.

Suite de la visite, dans un foyer cette fois
: préparant sa thèse au Centre nantais de sociologie, Amady Niang travaille sur le vieillissement des immigrés ouest-africains en foyer à Nantes. Il nous emmène à leur rencontre et a recueilli les paroles de ceux qui se sont installés en France entre les années 1960 et les années 1980. Après leur vie de labeur, ils connaissent une retraite précaire, avec des obligations familiales au pays qui amputent leurs moyens de subsistance. Au point de devoir se priver et, pour la santé, de vivre dans le déni plutôt que de consulter un médecin.

Enfin, nous fermons ce dossier avec un entretien avec Gilles Berrut, chef du pôle hospitalo-universitaire de gérontologie clinique du Chu de Nantes et président du Gérontopôle des Pays de la Loire. Une structure qui travaille à décloisonner le traitement de la question du vieillissement et à faire en sorte qu’elle ne soit pas uniquement prise en compte des seuls points de vue des dépenses de santé et de la dépendance. Un travail de conviction porté par un homme qui parle franc et direct.