juin-juillet 2011

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Édito : Le Football et les villes
Le FC Nantes collectionne les mauvais résultats. Le club est à vendre. Un peu partout la mondialisation du sport rompt les liens entre les clubs et les villes. Le football a-t-il encore un avenir à Nantes ?
« Ce qui me frappe, c’est que l’on évoque un beau jeu, où chaque individu compte, mais où le collectif fonctionne : qu’un tel modèle soit associé à ma ville m’enchante ! » Ce n’est pas le maire de Nantes qui parle – et pour cause. Mais celui de Lille, Martine Aubry, après la double victoire de son club de football, le LOSC, en championnat et en Coupe de France. Et les propos du premier adjoint lillois, Pierre de Saintignon, pourraient se retrouver dans la bouche de bien d’autres élus de bien d’autres grandes villes : « Un LOSC qui gagne a la même importance à mes yeux que nos pôles de compétitivité. »
Où l’on voit l’extraordinaire plasticité du football… C’est d’abord un jeu, devenu un sport, amateur puis professionnel, sans doute le plus universel des sports. C’est aussi un spectacle, une activité économique, un marché mondial où circulent des hommes, joueurs et entraîneurs, et des sommes, souvent considérables. C’est enfin de la passion, de l’identité, de l’attachement à un passé et à un territoire, une ville ou un pays. Ces trois réalités peuvent se combiner de bien des manières, se renforcer ou se contredire. Selon les lieux, selon les moments, ces combinaisons changent énormément. Le Brésil n’est pas les États-Unis, Saint-Étienne n’est pas Lyon, Nantes, cette année encore, n’est pas Lille.
Quant à Place publique, elle n’est pas L’Équipe, mais rien de ce qui est urbain ne nous est étranger. Voilà dix ans que le FC Nantes va de déceptions en catastrophes. Alors qu’il se traîne dans les profondeurs du classement de Ligue 2, le club est à vendre. Son propriétaire, l’homme d’affaires Waldemar Kita1 a réussi à faire la quasi unanimité contre lui. Et malgré tout, voici qu’une association À la nantaise rassemble en un an près de 2 000 adhérents, parle de valeurs morales et civiques, de formation, d’esprit d’équipe, souhaite à nouveau ancrer le FC Nantes dans un terroir et une histoire mi-réels, mi-fantasmés.
Il fallait donc y voir de plus près.
Le dossier s’ouvre sur une belle contribution de l’anthropologue Christian Bromberger. Puisant des exemples dans le monde entier, il montre à quel point le football et les villes ont – ou du moins ont eu – partie liée. Le recrutement des équipes, le style de jeu, l’organisation du club… tout nous parle d’une ville ou de l’image que s’en font les habitants. Le club est la métaphore d’une communauté humaine. En tout cas il l’était jusqu’à la récente mondialisation du football. Un club, désormais, n’est plus que le rassemblement éphémère de professionnels transpirant plus ou moins sous le même maillot. Le match a cessé d’être une célébration identitaire pour n’être plus qu’un spectacle.
Même constat de l’historien François Prigent qui s’attache au football breton, montrant à quel point il fut un terrain de l’affrontement entre deux visions politico-religieuses du monde, celle des « Bleus », celle des « Blancs ». Mais ces passions-là se sont émoussées et Nantes, Rennes, Brest ou Guingamp n’ont pas échappé à la marchandisation du ballon rond.
De cette marchandisation, l’historien et sociologue Claude Boli donne un exemple saisissant avec Manchester United. Voilà une des meilleures équipes du monde, mais aussi une multinationale qui compte des clubs de supporteurs dans une vingtaine de pays et dont les fervents sont aujourd’hui plus nombreux en Asie qu’en Angleterre. Curieuse combinaison d’un réel enracinement et d’une complète déconnexion entre une ville et son club.
Philippe Diallo parle d’argent. Philippe Diallo est le directeur général de l’Union des clubs professionnels de football. C’est aussi le fils de Souleymane Diallo qui fut un redoutable boxeur nazairien. Il explique comment le sport est devenu une industrie, comment s’est créé un Marché commun du football qui prive les clubs français de leurs meilleurs joueurs, comment le libéralisme effréné est en soi contradictoire avec la « glorieuse incertitude du sport ».
Contée par le journaliste Matthieu Le Crom, voici la triste histoire récente des tribulations du FC Nantes, passé en dix ans du titre de champion de France à la 33e place nationale. Une évolution que l’historien Alain Croix situe dans un temps plus long. Lui aussi prend acte de la coupure du lien entre les clubs et les villes même si, parfois, subsiste un attachement passionnel, patrimonial du public pour son équipe. Une voie d’avenir pour Nantes ? Peut-être. À condition de regarder le passé, tout le passé, en face.
Précisément, les sociologues Jean-Michel Faure et Charles Suaud s’attachent à disséquer, à « déconstruire » un mythe, celui d’un « jeu à la nantaise », à la fois unique et emblématique des valeurs d’une ville, bien au-delà de la pure technique footballistique. N’empêche que la croyance subsiste comme en témoigne le succès de l’association À la nantaise dont ils fournissent une analyse perspicace. Son président, Florian Le Teuff, prend la parole immédiatement après le texte des deux sociologues pour expliquer ses objectifs, ses ambitions et cette conviction : « Le FC Nantes n’est pas l’affaire de ses seuls propriétaires, mais de tous ceux qui l’aiment. »
Autre témoignage, celui de l’adjointe aux sports de la ville de Nantes. Elle relativise l’impact des mauvais résultats du club : Nantes a tant d’autres cartes à jouer, y compris au plan sportif. Elle prend acte du désamour qui s’est installé entre les Nantais et le FCN sans, toutefois vouloir injurier l’avenir : « Ce sport reste porteur de valeurs de respect de l’autre ; il fabrique de la cohésion sociale. »
Même tonalité dans le texte qui clôt ce dossier. Rédigé par le Collectif 3011, né à Nantes au moment des « violences urbaines » de l’automne 2005, ce texte prend à contre-pied les certitudes du football dominant. Il plaide pour le plaisir, pour le jeu spectaculaire, pour le caractère éducatif de ce sport, notamment dans les « quartiers sensibles ». Il se fait l’avocat du football comme on le rêve, offensif et fluide, altruiste et brillant, riche de valeurs et de convictions.
Un rêve qui se fracassera contre les récifs du réalisme ? Ou bien l’esquisse d’une réconciliation entre une ville et un sport, l’appel à une ferveur qui ne demanderait qu’à renaître ?