Sommaire #5


Jacques Floch a été député et maire (PS) de Rezé, deux mandats qu’il a décidé d’abandonner. Il a aussi été secrétaire d’État. Il préside toujours l’Auran (Agence d’urbanisme de la région nantaise) et a publié L’Agglomération nantaise : récits d’acteurs aux éditions de l’Aube.


Patrick Mareschal est président du conseil général de Loire-Atlantique.


Claude Naud est conseiller général (sans étiquette) du canton de Legé, dans le sud de la Loire-Atlantique. Il est le vice-président de la commission Aménagement du territoire. Il préside le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de la Loire-Atlantique.


André Trillard est sénateur UMP de Loire-Atlantique et président de la communauté de communes de Saint-Gildas-des-Bois.
Il a présidé le conseil général de Loire-Atlantique entre 2001 et 2004.
Place publique #5
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Dossier : Jusqu’où la ville va-t-elle s’étaler ?


Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Résumé > L’augmentation incessante des prix du logement, la concentration des emplois en ville ou à proximité, la place occupée par la voiture dans notre civilisation, la myriade des décisions individuelles prises par les habitants du département : tout cela semble faire de l’étalement urbain un phénomène échappant à toute intention et à tout contrôle collectif. Nous avons interrogé sur ce sujet quatre élus particulièrement concernés par l’aménagement de notre territoire : Patrick Mareschal, André Trillard, Jacques Floch et Claude Naud.


JACQUES FLOCH : « DEMAIN, REZÉ SERA UN ARRONDISSEMENT DE NANTES. »


PLACE PUBLIQUE > Quels sont les avantages et les inconvénients de l’étalement urbain ?
JACQUES FLOCH > La dispersion de la population entraîne la dispersion des services. Il faut plus de voirie, plus d’assainissement, plus d’alimentation en énergie et ça finit par coûter très cher à la collectivité. Les inconvénients sont vécus aussi par ceux qui s’en vont loin des villes. Il leur faut deux véhicules. L’école est souvent éloignée. Pendant six mois de l’année, ces gens qui disent avoir choisi la campagne partent de chez eux quand il fait encore nuit, reviennent chez eux quand il fait déjà nuit. Même s’ils justifient cette décision par un goût particulier pour la campagne, on sait bien que le prix du logement a souvent été un facteur déterminant. L’avantage de l’étalement urbain ? Desserrer les zones d’habitation dans l’agglomération nantaise. C’est simple, notre périphérique mesure 42 kilomètres, comme le périphérique parisien. Mais à l’intérieur, chez nous, il y a
350 000 habitants quand il y en a 2 millions à Paris. L’étalement urbain a permis à l’agglomération nantaise de rester verte.

PLACE PUBLIQUE > À quel prix ?
JACQUES FLOCH > Au prix d’une nécessaire et substantielle amélioration des transports entre les 82 communes qui constituent aujourd’hui l’aire urbaine de Nantes. Il faut réaliser des liaisons transversales sans passer par le centre. C’est l’un des enjeux de la desserte de l’éventuel futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Et, bien entendu, ces liaisons ne doivent pas être uniquement pensées pour la bagnole. Le busway qui vient d’être mis en service, c’est une expérience qui doit se prolonger jusqu’à 30 ou 40 kilomètres de l’hypercentre. Il fait aussi améliorer les services et les équipements de base : le ramassage des ordures ménagères, les écoles et, demain, c’est-à-dire tout de suite, le maintien à domicile puis l’accueil des personnes âgées. Aujourd’hui, il y a 7 000 personnes âgées dépendantes dans l’agglomération. Dans dix ans, on en comptera le double.

PLACE PUBLIQUE > Vous parlez comme si une autorité planificatrice décidait de tout…
JACQUES FLOCH > C’est vrai, l’étalement urbain, personne ne le décide. C’est la somme d’une multitude de décisions individuelles dictées par le coût du foncier et de l’immobilier. La puissance publique n’a pas su apporter de bonnes réponses au bon moment.

PLACE PUBLIQUE > Une fatalité ?
JACQUES FLOCH > Quand je suis devenu maire de Rezé, en 1977, j’ai fait appliquer la loi de Michel d’Ornano, ce révolutionnaire bien connu proche de Valéry Giscard d’Estaing. J’ai mis en place des Zad, des zones d’aménagement différé, qui me donnaient un droit de préemption sur tout ce qui se vendait. Je me souviens que le préfet de l’époque m’avait convoqué pour me dire que je me livrais à une interprétation abusive de la loi, que j’étais un collectiviste… Au bout du compte, j’ai laissé de grands espaces en héritage quand j’ai quitté la mairie. Mais pour y arriver, il faut quand même mobiliser quelques fonds et bien des communes manquent de moyens pour cela. Cela dit, je reste persuadé que la seule façon de stabiliser le marché, c’est que la puissance publique puisse acquérir du foncier quand le marché s’excite. Sinon, nous aurons des villes à l’américaine, de 150 kilomètres de long sur 100 kilomètres de large.

PLACE PUBLIQUE > Même si nous n’en sommes pas encore là, l’étendue et la complexité des nouveaux territoires crée de sérieux problèmes de gouvernance. Qui dirige quoi ?
JACQUES FLOCH > Sur les 82 communes de l’aire urbaine de Nantes, il existe une vingtaine d’organismes intercommunaux. Les espaces administratifs ne correspondent pas à la nouvelle donne puisque l’aire urbaine commence à déborder sur la Vendée et le Maine-et-Loire. Des communes comme Blain, Nozay, Derval, à la frontière de l’Ille-et-Vilaine ont rejoint l’Agence d’urbanisme de la région nantaise…

PLACE PUBLIQUE > Alors ?
JACQUES FLOCH > Eh bien, dans vingt ou trente ans, moi, j’imagine un grand Nantes avec des arrondissements, comme à Paris. Je ne devrais peut-être pas le dire, mais Rezé sera un arrondissement de Nantes. Je vois très bien une dizaine d’arrondissements de 50 000 habitants chacun. Les choses peuvent aller plus vite qu’on ne le pense si, demain, les élus d’agglomération sont élus au suffrage universel. Quand on a créé la communauté urbaine, on a dit qu’elle s’occuperait des grands équipements. Mais, quelques années plus tard, on voit bien qu’elle ne se cantonne pas à cela. Elle s’occupe un peu de tout. Il faut donc rapidement établir un lien direct entre la population et cette instance.

PLACE PUBLIQUE > Vous parlez beaucoup de Nantes, du très grand Nantes… Et la relation avec Saint-Nazaire ?
JACQUES FLOCH > Tout va dépendre des hommes et des femmes qui seront à la tête des deux agglomérations. Moi, je suis résolument partisan d’une métropole Nantes/ Saint-Nazaire : c’est la seule manière d’acquérir la dimension européenne. Aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore tout à fait. Mais nous sommes la seule réalité urbaine à en être capable sur la façade atlantique. Rouen et Le Havre sont trop éloignées l’une de l’autre. Brest ou Lorient n’ont pas la taille. Bordeaux ? Précisément, il lui manque une ville comme Saint-Nazaire pour ne pas être seule. Et puis nous bénéficions de la présence de ces villes qui nous entourent, Rennes, Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon, et nous permettent de rayonner sur tout le centre ouest du pays. Voyez le succès du TER Nantes-Tours… Demain, pourquoi pas un TGV reliant Saint-Nazaire à Genève ?


PATRICK MARESCHAL : « PARTOUT EN EUROPE, LA COURSE VERS LE LITTORAL ».


PLACE PUBLIQUE > Quels sont les avantages et les inconvénients de l’étalement urbain ?
PATRICK MARESCHAL > Les inconvénients, ce sont l’accroissement de la circulation automobile, la pression des nouveaux habitants pour disposer à la campagne de services comparables à ceux de la ville, le coût des réseaux de toutes sortes. L’avantage, c’est sans doute que la Loire-Atlantique est en train de devenir un grand bassin de vie.

PLACE PUBLIQUE > Le phénomène revêt-il ici des formes particulières ?
PATRICK MARESCHAL > Il est particulièrement fort. Tout d’abord parce que la population augmente d’environ
10 000 habitants par an. Ensuite, parce que le renchérissement de l’immobilier à Nantes s’est accéléré. Nantes a rattrapé son retard sur d’autres grandes villes. Enfin, sans doute existe-t-il une nostalgie des origines rurales qui pousse plus de gens ici qu’ailleurs à vouloir s’installer à la campagne. D’autant que nous avons une tradition d’habitat dispersé, largement liée au climat et au relief. J’ajouterai que, pendant longtemps, on a trop peu construit de logements dans l’agglomération nantaise et comme beaucoup de familles rêvent de posséder une maison particulière, eh bien, elles s’éloignaient de la ville. Heureusement, les choses sont en train d’évoluer : tout autour de sa première ceinture de boulevards, Nantes se densifie sérieusement.

PLACE PUBLIQUE > Avez-vous des moyens d’action pour peser sur le phénomène ?
PATRICK MARESCHAL > Il faut bien reconnaître que l’étalement urbain se fait dans un certain désordre. Nous pouvons jouer sur deux leviers principaux : maîtriser le coût du foncier en achetant du terrain, en constituant des réserves foncières. C’est ainsi qu’on pourra construire de l’habitat locatif social si rare aujourd’hui en dehors des grandes villes pour constituer de petits pôles urbains.

PLACE PUBLIQUE > Le Département est-il armé pour cela ?
PATRICK MARESCHAL > Je trouve que, géographiquement, l’échelon départemental n’est pas si mal adapté au problème. Bien sûr, il serait bon que nous ayons notre mot à dire pour l’approbation des plans locaux d’urbanisme. Sur ce point, la situation n’est pas uniforme en Loire-Atlantique. Dans l’agglomération nantaise, c’est la communauté urbaine qui a compétence en matière d’urbanisme. Ailleurs, ce sont les deux communes. Et là, nous disposons de deux outils : la loi sur la conservation des territoires ruraux ; les contrats que nous passons avec les communautés de communes et qui nous permettent d’exiger la construction de logements sociaux. De plus en plus de maires s’aperçoivent d’ailleurs qu’ils y ont tout intérêt.

PLACE PUBLIQUE > N’est-on pas en train de découvrir le problème au moment où il va se résoudre de lui-même ? La population va vieillir, ne va pas continuer à croître au même rythme…
PATRICK MARESCHAL > Je n’en suis pas si sûr. Une partie de notre croissance démographique est due à l’attractivité de notre territoire. Partout en Europe, on assiste à une course vers le littoral qui ne s’arrêtera pas de sitôt. Il faut aussi tenir compte de l’évolution des modes de vie, les familles recomposées, l’accroissement des familles monoparentales… Cela a des effets sur le besoin de logements. Et puis n’oublions pas l’intérêt économique des promoteurs, des lotisseurs, des propriétaires de terrains… Non, l’étalement urbain ne va pas s’arrêter de lui-même. Il faut y prendre garde. On dit trop souvent que nous ne manquons pas d’espace, mais on oublie de considérer les 60 000 hectares de zones humides que compte la Loire-Atlantique. Ramenée aux seules terres habitables, la densité de la population est plus forte qu’il n’y paraît. L’espace va devenir rare.


CLAUDE NAUD : « LE DÉPARTEMENT A BESOIN DE PÔLES D’ÉQUILIBRE »



PLACE PUBLIQUE > Quels sont les avantages et les inconvénients de l’étalement urbain ?
CLAUDE NAUD > L’inconvénient, il saute aux yeux : c’est un grignotage épouvantable de l’espace. Mais ce grignotage ne résulte pas tant de l’étalement urbain en soi que d’une absence de réflexion. On a laissé les choses s’emballer sans se poser la question de la ville que nous voulons. Revenons en arrière si vous le voulez bien. La question de l’étalement urbain est une vieille question. Au 19e siècle, on voyait déjà la ville comme une dévoreuse de campagne, se développant à ses dépens…

PLACE PUBLIQUE > Oui, mais le mouvement s’est singulièrement accéléré depuis !
CLAUDE NAUD > En effet, en quarante ans, la surface urbanisée a triplé dans le département. Mais on ne raisonnait pas alors en termes d’étalement urbain. Dans les années soixante, les campagnes se vidaient au profit de villes qui gonflaient, et ces villes, n’est-ce pas, étaient une promesse de progrès et de vie meilleure pour les paysans. La question du rapport entre villes et campagnes se pose sous un jour nouveau au milieu des années soixante-dix. Des gens comme Paul Houée en Bretagne jettent un regard neuf sur le milieu rural. La campagne peut être un lieu de développement local.

PLACE PUBLIQUE > Et aujourd’hui ?
CLAUDE NAUD > Aujourd’hui, on a compris que le micro-développement sans macro-développement, ça voulait dire pas de développement du tout. D’où la réévalution du rôle moteur des métropoles. Il est illusoire de penser que les campagnes de Loire-Atlantique peuvent se développer indépendamment de Nantes et de Saint-Nazaire.

PLACE PUBLIQUE > Mais n’est-ce pas la distinction même entre villes et campagnes qui devient incertaine ?
CLAUDE NAUD > Oui et c’est en cela que l’étalement urbain que nous connaissons aujourd’hui est un phénomène différent du gonflement des villes dans les années soixante. Dans un premier temps, ce sont les cadres qui ont quitté la ville pour construire des maisons cossues sur de vastes terrains. Ce rêve d’accession à la propriété s’est conjugué aux facilités bancaires. Être riche, c’est avoir sa maison à soi sur un grand terrain. Inutile de préciser que ces maisons sont plus affaires de géomètres que d’architectes. Bref, on ne s’est pas posé la question de la ville, mais celle de la maison dans un espace indifférencié. Cet étalement urbain-là, c’est de la non-ville.

PLACE PUBLIQUE > Qu’y peut-on ?
CLAUDE NAUD > On a souvent l’impression de métastases devant lesquelles on serait impuissant. Pourtant, je crois que les élus ont de vrais moyens d’action. Les plans locaux d’urbanisme sont des outils excellents sans contraindre de façon excessive. Dans ma communauté de communes, nous avons lancé un programme «Demain, ma ville» qui nous permet de négocier avec les promoteurs le type d’habitat dont nous voulons. Entre le laisser-faire et la contrainte à la tuile près sur un toit, il y a place pour le pari sur l’intelligence. Mais on n’est pas intelligent tout seul, il faut apprendre à cohabiter. Le citoyen a besoin de ses concitoyens. Cela signifie qu’il faut attribuer à un même lieu plusieurs fonctions, arrêter de dire qu’il y a un endroit pour habiter, un autre pour travailler, un troisième pour consommer. Près de 70 % des emplois du département sont situés dans l’agglomération nantaise. Nous concentrons les productions, nous exportons les producteurs. Toujours plus loin. Par conséquent, plutôt que de chercher à lutter contre l’étalement urbain, mieux vaut chercher à construire de la ville.

PLACE PUBLIQUE > C’est possible dans le cadre d’une commune ?
CLAUDE NAUD > Non, il faut raisonner au moins à l’échelle d’un bassin de vie. Par exemple, quand Nantes Métropole aide une population peu favorisée à rester en ville en pratiquant des prêts à taux zéro, cela a évidemment des répercussions au-delà des limites de l’agglomération.

PLACE PUBLIQUE > Et le Département, lui, a-t-il un rôle spécifique à jouer ?
CLAUDE NAUD > Oui, il doit renforcer les pôles d’équilibre, aider dix ou quinze petites villes éloignées de la métropole à développer de l’emploi et des services, pas seulement des logements. Dans un secteur comme Machecoul, on compte autant d’emplois que d’actifs. Pas besoin dès lors pour l’ensemble de la population de faire la navette matin et soir entre Machecoul et Nantes.


ANDRÉ TRILLARD : « JE NE SUIS PAS DIRIGISTE, MAIS… »


PLACE PUBLIQUE > Quels sont les avantages et les inconvénients de l’étalement urbain ?
ANDRÉ TRILLARD > Avant de répondre à votre question, examinons la situation de la Loire-Atlantique. Nous avons une ville centre qui se développe peu au regard de sa première, de sa deuxième, de sa troisième couronne. Une ville dense, une ville non étalée serait pourtant faisable en consommant peu d’espace. Augmentez de 2 kilomètres le rayon du périphérique nantais, faites-le passer de 6 à 8 kilomètres et vous aurez de quoi loger sur cette surface 200 000 habitants de plus.

PLACE PUBLIQUE > Oui, mais ça ne se décrète pas…
ANDRÉ TRILLARD > En effet, il y a deux raisons majeures pour lesquelles les gens décident de vivre ailleurs qu’en ville : ce peut être un vrai choix, l’envie de vivre à la campagne ; ce peut être une décision dictée par le marché immobilier. Plus vous vous écartez du centre, plus les prix sont bas.

PLACE PUBLIQUE > Alors ?
ANDRÉ TRILLARD > Eh bien, premièrement, il faut aider ceux qui voudraient rester en ville à le faire. On ne peut pas les obliger à gaspiller leur temps et leurs ressources en transports. Mais, deuxièmement, il faut aussi aider ceux qui veulent vivre à la campagne à s’intégrer dans leur nouveau milieu de vie. Ce n’est pas si difficile puisque même des communes voisines de l’agglomération nantaise conservent des densités faibles. Je suis né à Héric, au nord de Nantes. C’est une commune qui compte aujourd’hui 5 000 habitants sur une surface de 8 000 hectares. Il y a de la place ! C’est une densité moindre que celle de Saint-Gildas-des-Bois, la commune où je réside à présent. Et, troisièmement, il est temps que les responsables de la métropole définissent clairement leurs objectifs.

PLACE PUBLIQUE > Mais vous savez bien que le marché immobilier échappe largement au contrôle de la puissance publique.
ANDRÉ TRILLARD > Ce qui est vrai, c’est que la puissance publique, à tous les niveaux, s’est largement désintéressée de ces problèmes. Et pourtant les communes ont des outils à leur disposition. Quand vous créez une Zad (zone d’aménagement différée), vous avez un droit de préemption qui vous permet de casser la spéculation. Imaginez une ville qui a acheté des terrains en 2000, qui les remet en vente aujourd’hui au prix de l’époque, simplement majoré des frais financiers, eh bien, ça calme le marché !

PLACE PUBLIQUE > Oui, mais il faut disposer de ressources financières considérables pour mener une telle politique.
ANDRÉ TRILLARD > Pas tant que ça. L’argent nécessaire, les communes peuvent l’emprunter en totalité. Il leur suffit de répercuter les frais financiers au moment de la mise en vente. Évidemment, il y a toujours une possibilité de récession, que le prix de l’immobilier baisse et que vous ne puissiez pas vendre au prix où vous achetez. Mais avouez que ce n’est pas un grand risque aujourd’hui. Non, la vraie difficulté est plutôt une difficulté technique. Ces opérations obéissent à des procédures complexes qui nécessitent le recours à des professionnels de qualité. Les petites communes ne disposent pas de ces ressources en interne, mais elles peuvent se faire aider.

PLACE PUBLIQUE > Pour un libéral, vous défendez des options singulièrement dirigistes…
ANDRÉ TRILLARD > Je ne suis pas dirigiste, vous le savez bien. Mais nous n’avons pas le droit de laisser nos jeunes concitoyens se gâcher la vie en empruntant sur trente ans pour s’installer où ils peuvent, loin de la ville, alors qu’on sait bien qu’en plus ils auront une existence moins stable, moins sûre que celle des gens de ma génération. Bien sûr, c’est très faisable de créer des lotissements à tout va dans toutes les communes. On vendra les terrains, mais ce n’est pas très responsable. Et quant aux emplois, il faut cesser de les concentrer tous au même endroit. Regardez, d’Atlantis, à Nantes, jusqu’à La Roche-Bernard, dans le Morbihan, on a une zone industrielle quasi-ininterrompue.

PLACE PUBLIQUE > À part le droit de préemption, y a-t-il d’autres outils à la disposition des élus pour contrôler l’urbanisation ?
ANDRÉ TRILLARD > Personne n’ose le dire, mais je pense que la loi sur les Plans locaux d’urbanisme est mal faite. Elle morcelle le marché, elle crée les conditions de la spéculation. Ce qu’il faudrait, ce sont des plans pluriannuels : une commune décide que, pendant quatre ans, elle délivrera, par exemple, trente permis de construire par an, pas un de plus, sur des zones évidemment déterminées pour éviter le mitage. Parce que la commune estime que ces trente permis annuels correspondent à sa capacité d’absorption sur les plans économique, foncier, social… Si on veut de la vie, il faut casser la spéculation. D’autant plus qu’après tout le foncier, par lui-même ne vaut pas grand-chose. Il ne vaut que par les équipements que la collectivité y implante…