hiver 2020/2021

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édito
Une crise, des crises

Le vertige des chiffres annonciateurs de mauvaises nouvelles : la zone d’emploi de Nantes a perdu 5 200 emplois salariés au cours du deuxième trimestre 2020 par rapport à la même période de 2019, soit un recul de 1,4 %. Dans la métropole nantaise comme à Saint-Nazaire et dans son agglomération, les trois quarts ou plus des secteurs de l’économie sont « secoués » par la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19, certains l’étant très brutalement. Du café du coin de la rue aux sous-traitants de l’aéronautique, la crise sanitaire se double d’une crise économique qui débouche sur une crise sociale dont l’ampleur et les effets ne sont pas encore mesurés. Seule certitude, les inégalités et la pauvreté vont atteindre des sommets. Déjà, en Loire-Atlantique, des milliers de ménages supplémentaires sollicitent le Revenu de solidarité active et un habitant de Nantes Métropole sur deux pense que ses proches (parents, enfants) rencontreront des difficultés économiques.


Quel état des lieux et quelles pistes pour s’en sortir? Pour ouvrir notre dossier sur la crise économique et sociale, nous avons voulu croiser les regards nationaux comme locaux tant pour dresser un constat des réalités de cette crise que pour évoquer les solutions qui nous permettront de nous en extraire. Nous avons donc posé les mêmes questions à quatre interlocuteurs: Laurent Berger, le secrétaire général du syndicat CFDT qui connaît particulièrement bien la Loire-Atlantique puisqu’il est originaire de Saint-Nazaire; Florent Guéguen, qui assure la direction de la Fédération des acteurs de la solidarité, ce réseau de lutte contre les exclusions qui regroupe plus de 800 associations et organismes; Gilles Pinson, professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux, qui connaît parfaitement la région nantaise et est aussi un des quatre garants de la Convention citoyenne réunie par Nantes Métropole pour envisager les conséquences de l’épidémie de Covid-19; et enfin, Yann Trichard, entrepreneur et président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nantes/Saint-Nazaire.
Chacun apporte sa vision de cette crise, interroge et s’interroge
: paupérisation de toute une frange de la population, effet déstabilisateur sur l’économie de confinements successifs, bases «saines» de l’économie en Loire-Atlantique qui devraient permettre de redémarrer lorsque la crise sanitaire sera stabilisée, quelles seront nos interactions sociales demain après des mois de «distanciation»… Tous espèrent que des facteurs de cohésion naîtront de cette période inédite.
L’économiste Olivier Bouba Olga, longtemps enseignant-chercheur à l’université de Poitiers et aujourd’hui chef du service études et prospective à la Région Nouvelle-Aquitaine, scrute les territoires et prend leur pouls. S’extirper de la crise nécessite des décisions fortes
: il plaide pour miser véritablement sur la transition écologique – et non pas seulement de manière cosmétique – et engage à un retour de l’aménagement du territoire oublié depuis longtemps au profit d’une concurrence entre territoires et de la mise en avant des métropoles.
Autre éclairage sur cette crise, celui d’Hervé Guéry, le directeur du Compas basé à Nantes, bureau d’études qui travaille sur les répercussions sociales de la crise sanitaire. Il montre les vulnérabilités des quartiers prioritaires accentuées par le Covid-19. Il relève plus particulièrement la fracture numérique et son «
effet domino» dans une société du tout numérique où chaque démarche passe par Internet: pour celles et ceux qui ne sont pas outillés, le risque de rupture est bel et bien présent.
Depuis bientôt une année que l’épidémie a bousculé nos vies, la jeunesse ne se fait guère entendre et souffre en silence. L’accumulation de cours à distance désarme des étudiants qui, pour ceux entrés à l’université en septembre
2020, avaient déjà connu un baccalauréat sur la base du contrôle continu. À ce désarroi, s’ajoute une précarité grandissante pour certains: chaque semaine, une association étudiante, La SurpreNantes épicerie, distribue ainsi sur le campus du Tertre à Nantes près de 400 paniers alimentaires et des produits d’hygiène. Nous avons assisté à une de ces distributions.
S’il est un secteur en déshérence – avec les cafés et restaurants – et aux perspectives encore floues, c’est bien celui de la culture. Louis Raymond, journaliste, a rencontré des musiciens à Nantes
: l’un devait embarquer pour une tournée internationale et joue désormais dans les rues de la ville, un autre, faute de pouvoir se produire dans des cafés, a pris un emploi d’éboueur pour vivre. Et demain? Tant que le virus demeure maître du temps…
Notre dossier se termine par un entretien avec Clément Gérome, de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies
: nous avons voulu connaître les effets du confinement tant sur les consommateurs de drogues que pour le trafic. Là encore, les plus précaires ont été les premières victimes (manque, souffrance psychiques…), quant au business des drogues, il a su s’organiser, s’adapter et éviter la pénurie.
La couverture de ce numéro met en avant la chronique consacrée à l’architecture de Jean-Louis Violeau, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes
: à l’automne dernier, le quotidien 20 Minutes a demandé à ses lecteurs de désigner dans chaque grande ville un bâtiment ou quartier «archimoche», néologisme se passant d’explications. À Nantes, les internautes ont placé en tête de leur classement le quartier de la Prairie-au-Duc, hérissé de grues avec des ensembles qui poussent sur la partie ouest de l’île. Notre chroniqueur interroge la notion de goût en architecture: qu’est-ce que le beau ou le laid dans un pays qui, par le biais d’une loi, a érigé l’architecture en «expression de la culture»?