Printemps 2019

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édito
Nantes et la Vendée, la ville et ses campagnes

Avouons-le, à l’heure de confectionner la couverture de ce numéro de la revue et donc de donner une représentation à notre dossier « Nantes, capitale de la Vendée ? », la question s’est faite insistante, pressante : comment incarner la relation entre la métropole et le département voisin, comment l’illustrer ? Un peu comme si, de fait, rien ne s’imposait au-delà du tragique de l’histoire, le siège de Nantes et la Terreur. Puis, clin d’œil malicieux, une idée s’est faufilée et a fini par s’installer : plantons le drapeau vendéen, avec son cœur double, sa couronne stylisée et sa croix, sur un point haut de Nantes, la tour… Bretagne. Alors, Nantes, capitale de la Vendée ?

Il faut bien en passer par l’histoire pour expliquer les rapports qu’entretiennent la Vendée et Nantes. L’historien Jean-Clément Martin, professeur émérite de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, est l’auteur de nombre d’ouvrages sur cette période, ayant écrit sur la Terreur, Robespierre, etc. Dans son texte, il examine les traces laissées par la guerre de Vendée dans les mémoires «bleue» et «blanche»: le siège de Nantes à la mi-1793 par les insurgés royalistes puis la répression menée par Carrier n’en finissent pas de provoquer des répliques plus de 200 ans après. Si ce conflit des mémoires joue les prolongations, il a aussi modelé une Vendée inspirée par «une autre histoire de France».

Le géographe Jean Renard est un des premiers qui, au début des années soixante à l’université de Nantes, s’est intéressé à ce que l’on appelait alors les «
campagnes nantaises» du Choletais et des bocages vendéens. Il a ainsi pu mesurer les liens tissés par l’histoire entre la ville et la Vendée et voir les échanges dopés dans les années qui suivirent la création de l’université de Nantes, en 1962, avec des étudiants vendéens s’y inscrivant en masse. Ce tournant en a précédé d’autres avec l’émergence du «modèle vendéen», une industrie implantée sur l’ensemble du département qui fournit les gros donneurs d’ordre de l’estuaire de la Loire, un taux de chômage bas… Et lorsqu’on lui pose la question de savoir si Nantes peut prétendre au titre de capitale de la Vendée, Jean Renard voit l’influence nantaise s’exercer pleinement sur les deux tiers du territoire vendéen. Et il rappelle non sans malice qu’au sortir de la Deuxième Guerre, un rapprochement de la Loire-Atlantique et de la Vendée, fondues dans un département unique, avait été étudié.

Durant dix ans, les ressortissants vendéens ont disposé d’une ambassade (officieuse) à Nantes – qui a récemment changé de propriétaire
: le Barablabla, installé dans le quartier du Bouffay, avait été ouvert par deux copains de Vendée venus pour leurs études à Nantes. L’établissement était également fameux pour son tournoi international de palets… vendéens. Doctorante en sciences politiques, Louise Dalibert s’est immergée dans l’ambiance du Barablabla.

La réussite économique de la Vendée peut parfois sembler insolente. Elle vient aussi de loin et peut s’ancrer dans une famille, comme celle des Bénéteau, le leader mondial des bateaux de plaisance. L’histoire familiale a commencé à la fin du 19
e siècle, avec un chantier naval installé sur un quai de Croix-de-Vie par Benjamin Bénéteau. Spécialiste de la voile, le journaliste Serge Messager raconte la conquête de la planète par le groupe qui est également implanté à Nantes, sur le site de Cheviré, où sont fabriqués les monocoques de la Solitaire du Figaro.

Ils sont identifiés comme «
navetteurs», c’est-à-dire qu’ils résident en Vendée et travaillent en Loire-Atlantique ou inversement. Ils sont ainsi 21 000 à passer quotidiennement d’un département à l’autre, expliquent, carte à l’appui, Gildas Fouasson et Cédric Chardon, du Département de Loire-Atlantique. Ces flux demeurent géographiquement concentrés: les échanges se déroulent pour moitié entre six intercommunalités.

Auteur, Anthony Poiraudeau vit avec sa famille à Nantes depuis plus de trois ans et il a encore besoin de se le répéter pour s’en convaincre
: «Nantes est ma ville.» Voilà vingt ans, il a déjà entretenu une aventure avec la préfecture de Loire-Atlantique: bachelier en provenance de Challans, il y a étudié à l’université durant trois années, avide de découvrir la «grande ville» avec ses copains vendéens. Anthony Poiraudeau y a surtout goûté «la grande métropole un peu hautaine» avant de filer vers Rennes (trois ans) puis Paris (douze ans). De retour, il a enfin l’impression d’habiter Nantes, «véritablement». Une preuve? Il appelle la place Maréchal-Foch place Louis XVI.

Aux yeux de certains critiques parisiens, le peintre vendéen Gaston Chaissac incarne une forme d’exotisme provincial et lointain
: le «peintre en sabots», assigné un peu rapidement à l’Art brut. D’autres ont vu chez l’artiste décédé voilà cinquante-cinq ans une œuvre complexe, profonde et sensible. C’est le cas d’Henry-Claude Cousseau qui, alors jeune conservateur en Vendée, s’entichera d’un tableau de Chaissac au musée de Fontenay-le-Comte. Au point que le futur directeur du Musée des Beaux-arts de Nantes deviendra un des passeurs de son œuvre, ne cessant de la promouvoir. Entre la Vendée et Nantes, Chaissac avait trouvé un soutien, raconté par un journaliste, Louis Raymond, et un peintre, Philippe Lecomte.

Il a réalisé la statue de bronze de M. Hulot - Jacques Tati penchée sur la plage de Saint-Marc à Saint-Nazaire
: le sculpteur Emmanuel Debarre vit dans le Marais vendéen où il continue à tailler le marbre de Carrare ou de Belgique dans son atelier. Il s’est confié sur son étonnant parcours et ses déboires d’artiste au journaliste Alain Thomas. Une étrange Marianne dénudée lui ayant valu quelques soucis…

Alors, une réponse ferme et définitive doit-elle être apportée à la question de notre dossier
? Relisons André Siegfried, l’auteur du Tableau politique de la France de l’Ouest (1913): «Nantes tient d’abord, et par dessus tout, à la vallée de la Loire, qui est sa raison d’être… Au sud elle touche de près à la Vendée, dont on peut dire qu’elle est la vraie capitale. C’est là qu’est sa vraie zone d’influence… et ils sont bien minces les liens qui la rattachent à la Bretagne terrienne, attirée plutôt vers Rennes.» Des propos sans détour, sans point d’interrogation. Le drapeau vendéen flotte sur la tour Bretagne.