Automne 2018

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édito
Les associations, entre pouvoirs
et contre-pouvoirs

Il s’agit très certainement d’une passion française : 1,3 million d’associations sont enregistrées dans le pays selon la dernière étude annuelle « La France associative en mouvement » et plus de 70 000 sont créées chaque année. Elles existent grâce à 13 millions de bénévoles qui, pour un gros tiers, ont dépassé l’âge légal de la retraite. Elles représentent encore près de 2 millions de salariés – soit environ 10 % de l’emploi salarié privé en France –, pour moitié dans le secteur social. Si ces chiffres expriment toute l’importance prise par un monde associatif très hétérogène, ce dernier se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : la professionnalisation de certaines associations et leur relation aux pouvoirs publics est interrogée.

Au départ, ce fut l’essor post-mai 68: les associations fleurissent et s’épanouissent avec les années soixante-dix embrassant des causes comme le féminisme ou l’environnement et investissant le secteur social et sanitaire. Les lois de décentralisation prises après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 confortent ce développement du monde associatif. Et aujourd’hui? Le paysage a mué, explique Timothée Duverger, maître de conférences associé à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, spécialiste de l’économie sociale et solidaire. Certaines associations sont de plus en plus considérées comme des acteurs économiques entrant dans le jeu de la concurrence sur des appels à projets et des marchés publics lancés par l’État ou des collectivités territoriales qui, de plus en plus, se substituent aux subventions. La loi du marché en quelque sorte qui peut créer un choc des cultures dans un monde imprégné de l’esprit de la loi de 1901 et de sa culture démocratique.

La loi du 1
erjuillet 1901 justement, «relative au contrat d’association», appartient au cercle restreint des grands textes qui traversent les époques et les républiques, à l’instar, par exemple, de la loi sur la presse de 1881. L’historien Didier Guyvarc’h en retrace l’histoire longue, sur fond de conquête des libertés publiques. Il rappelle combien les pouvoirs ont durablement fait preuve de méfiance vis-à-vis de toute structure organisée, avant comme après la Révolution. Jusqu’à cette loi largement centenaire, fille de la Troisième République.

Quels rapports les associations entretiennent-elles avec le monde politique
? Le journaliste Thierry Guidet, fondateur de Place publique, nous replonge dans l’histoire politique de l’Ouest et de la «vague rose» qui, à la faveur des élections municipales de 1977, permit à des militants socialistes de conquérir plusieurs grandes villes: Nantes (Alain Chénard), Saint-Herblain (Jean-Marc Ayrault), Brest (Francis Le Blé), Angers (Jean Monnier)… Ces nouveaux maires partageaient un point commun: ils étaient tous passés par des associations d’éducation populaire, des mouvements de jeunesse, des syndicats… La politique comme débouché de l’engagement associatif. Les temps ont changé. Désormais, des associations n’hésitent pas à contester les partis politiques et les pouvoirs, à les «challenger» selon le néologisme de l’époque. Elles s’emparent de sujets que les partis ont délaissé comme le logement, la pauvreté ou l’accueil des migrants. Elles n’hésitent plus à batailler sur des dossiers portés par les pouvoirs en place: souvenons-nous de Notre-Dame-des-Landes et des associations parfaitement organisées qui ont su combattre le projet de transfert ou regardons aujourd’hui les opposants au projet urbain YelloPark, avec son stade et son quartier.

Que seraient les associations sans les bénévoles qui offrent de leur temps, beaucoup de leur temps
? Universitaire à la retraite, Jean-Pierre Branchereau est un «bénévole de gestion» qui s’est engagé – il était encore en activité – dans une association œuvrant dans l’insertion alors qu’elle était financièrement mal en point. Il ne l’a plus quittée depuis, prenant toujours plus de responsabilités. Il livre le récit et son analyse de cet engagement, celui de «patron» d’une association d’insertion. Un poste d’observation depuis lequel il constate, lui aussi, la rigueur des politiques publiques et la mise en concurrence des associations.

L’historien Jean-Pierre Le Crom et le sociologue Jean-Noël Retière ont publié une histoire de l’aide alimentaire dans la région nantaise,
Une solidarité en miettes (Presses universitaires de Rennes, 2018), qui court sur près d’un siècle jusqu’à nos jours. Ils y évoquent longuement comment, dans les années quatre-vingt, des associations comme les Restos du cœur ont fait irruption dans la distribution de cette aide alimentaire et s’y sont imposées. Souvent au prix de rapports de force avec des élus et les représentants de l’État. Les deux universitaires reviennent sur cette histoire nantaise dans un entretien accordé à Place publique et prolongent leur réflexion jusqu’aux collectifs informels qui interviennent eux aussi dans la distribution de nourriture – en rattachant cette intervention à une cause, comme celle des migrants.

Notre dossier s’achève avec les portraits de plusieurs militants associatifs et de l’employée d’une association du secteur culturel. Ces portraits ne disent pas toute la diversité du mouvement associatif – plusieurs numéros de
Place publique Nantes/Saint-Nazaire auraient été nécessaires! , mais ils en donnent un aperçu.

Ce numéro de la revue comporte également un entretien au long cours avec le maire de Saint-Nazaire, David Samzun. Alors qu’il a annoncé être candidat à un deuxième mandat et affirme préparer une liste «élargie» pour la campagne des élections municipales – tout en revendiquant un ancrage à gauche –, l’élu dévoile et précise son ambition pour Saint-Nazaire qu’il entend transformer en «ville plaisir» qui ne craindrait pas de faire de l’ombre aux stations balnéaires de La Baule ou de Pornichet: confirmation de la création d’un port de plaisance près de la base sous-marine, installation d’un hôtel-restaurant haut de gamme au bord de l’estuaire sur le site de l’usine élévatoire, réveil du centre-ville… Il affiche en parallèle une volonté de renouveler l’offre culturelle avec de nouveaux acteurs. Et comme il a de l’appétit, David Samzun revendique également le transfert du siège du port de Nantes à Saint-Nazaire: de quoi alimenter les discussions avec Johanna Rolland, la maire de Nantes.