mars-avril 2016

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édito
Saisie par la BD


Elle s’appelle Maison Fumetti, ce qui signifie bande dessinée en italien. Alors que la scène nantaise de la BD s’affirme depuis quelques années, Nantes a décidé de lui donner les moyens de se développer et de s’organiser en soutenant la création d’un lieu dédié au 9e art.


Nantes obtiendra-t-elle vraiment un jour le titre de «capitale mondiale de la BD du monde», comme le laisse entendre le dessinateur Vincent Sorel dans la bande dessinée créée pour ce numéro #56 de Place publique Nantes/Saint-Nazaire? Toujours est-il que le paysage de la bande dessinée nantaise, même s’il n’a pas encore décroché ce titre, mérite que nous nous y arrêtions. Parce qu’une scène locale a émergé, avec certains de ses auteurs reconnus nationalement, et que la Ville a estimé que le moment était venu de donner un coup de pouce à ces dessinateurs qui se multiplient – ils seraient ainsi près d’une centaine répertoriés dans le département.

La première «case» de notre dossier explore ce paysage de la BD dans la métropole: comment et pourquoi tant d’auteurs et scénaristes se retrouvent-ils aujourd’hui à Nantes. Aucune explication rationnelle, mais des pistes dont celle de l’image d’une «ville culturelle» qui séduirait. Les premiers arrivés la recommandant aux suivants qui à leur tour la conseillent. Tant et si bien que l’ensemble finit par former une scène vivace, diverse et bien vivante, mais… sans toit – d’autant que, il ne faut pas l’oublier, l’auteur de BD est plutôt démuni, puisque plus d’un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté.

Il était donc temps pour la municipalité d’investir les vignettes de l’album et de marquer son soutien. Aymeric Seassau, l’adjoint en charge de la lecture publique et des bibliothèques, nous explique comment la maison de la BD, renommée Maison Fumetti par ses promoteurs, est née et ce qu’elle fera. Le projet l’associe à la bibliothèque de la Manufacture des tabacs et l’ouverture du lieu est programmée à l’été.

Économiste de la culture et professeur à l’université d’Angers, Dominique Sagot-Duvauroux détaille les (bonnes) raisons qui conduisent une ville à miser sur les activités culturelles et créatives
: entre autres, parce que ça rapporte! Souvent vue d’abord comme une dépense, la culture assure régulièrement des recettes bien supérieures. Il précise également comment, entre Angoulême et son Festival international de la bande dessinée et Saint-Malo avec Quai des bulles, Nantes peut se faire un nom en matière de BD.

Tournons les pages. La géographe Bénédicte Tratnjek prépare sa thèse de doctorat sur les villes en guerre dans la bande dessinée. Elle décrit comment, depuis ses débuts, le 9e art s’est approprié les villes, les représentant sous diverses formes, et combien en la matière la frontière entre ville réelle et ville imaginaire reste fine. Et parfois, les auteurs finissent aussi par modeler la ville réelle.

Notre abécédaire n’a aucune prétention à l’exhaustivité
: un peu fourre-tout – c’est d’ailleurs là sa fonction –, un peu dans les marges, il donne à voir dans l’histoire et le présent de la BD à Nantes et à Saint-Nazaire. Vous y croiserez des figures comme Jean Graton, le «père» du coureur automobile Michel Vaillant, ou Claire Bretécher, la «mère» des Frustrés et d’Agrippine. Vous y découvrirez que le général Alcazar, soupçonné de l’enlèvement du professeur Tournesol dans Les 7 Boules de Cristal, a vraiment été jugé en 2001 devant la cour d’assises de Nantes. Ou que des catcheurs-dessinateurs à moustache s’affrontent régulièrement sur un ring et que cette discipline a été inventée à Nantes.

C’est une des écoles reconnues en France par les auteurs de BD, une des rares à proposer une formation spécialisée en bande dessinée. Erwann Pivaut, fils du créateur de cette école installée à Nantes, nous raconte ce qu’elle est et ce qu’elle cherche à apporter à ses étudiants. À ce propos, c’est d’ailleurs un dessin créé par l’un d’entre eux qui illustre joliment la couverture de ce numéro.
Nous n’imaginions pas ce numéro de
Place publique Nantes/Saint-Nazaire sans publier des reproductions d’auteurs qui ont dessiné les deux villes. Parmi ces représentations, certaines sont connues, comme celles du passage Pommeraye signées Tardi. D’autres moins. Nous vous en proposons une sélection, avec un «coup de cœur» pour une bande dessinée publiée en 2013, Jacques a dit, racontant la jolie histoire du vol de l’escorteur Maillé-Brézé, le bateau-musée du port de Nantes.

Nous descendons l’estuaire, direction Saint-Nazaire. Jean-Claude Chemin fut un des acteurs de l’opération et il nous raconte comment six vignettes géantes de Tintin, extraites des
7 Boules de Cristal dont une partie de l’histoire se déroule sur le port, ont été implantées dans la ville. Certainement la plus longue des aventures du reporter du Petit 20e.

Retour aux origines de la bande dessinée. Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique de la Cité de la bande dessinée et de l’image à Angoulême, expose comment la BD s’est imposée en France et ce qu’elle représente à Angoulême.

Nous terminons ce dossier en remontant encore un peu loin, au début du 20
e siècle. L’historien Didier Guyvarc’h livre pour Place publique une analyse d’une toile du dessinateur nantais Jules Grandjouan, Honte à celui qui ne se révolte pas contre l’injustice sociale. Une toile dédiée à ses enfants qui peut se lire comme une bande dessinée.

Nous vous proposons également trois contributions dans ce numéro, toutes différentes et toutes à lire. Vous y découvrirez en particulier la première partie d’une histoire oubliée, celle de Victorine et Manuela, deux femmes fusillées à Nantes en 1918. Exécutées. Passées par les armes. C’est une histoire où se mêlent anarchisme, prostitution, espionnage au profit de l’Allemagne durant la Première Guerre, que nous raconte l’historien Jean Bourgeon qui a rassemblé des documents épars sur cette affaire. La fin de cette histoire sera à lire dans notre prochain numéro. Elle inspirerait un excellent scénario pour une bande dessinée.