septembre-octobre 2012

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édito
Malakoff, la mutation d’une cité HLM
De la haute couture, de la chirurgie de précision : oui, Malakoff / Pré-Gauchet est réellement un grand projet de ville.
A force de jongler avec les sigles, les élus, les professionnels de la ville – urbanistes, chercheurs, architectes, promoteurs – s’exposent à ne plus prêter toute l’attention requise au sens des mots.
Tenez, GPV. GPV, pour Grand Projet de Ville, avec une majuscule à chaque mot, une procédure de requalification – comme on dit – urbaine, un dispositif administratif qui aide à faire du neuf avec du vieux, enfin, pas tant que cela, puisque ce vieux ne date, après tout, que des années 1960-1970…
Eh bien, chaque terme compte. « Grand », c’est-à-dire ambitieux, le contraire d’étriqué. « Projet », parce qu’il s’agit bien de se projeter dans l’avenir, pas de se laisser aller au fil de l’eau. « Ville », car il ne devrait pas être seulement question de tel ou tel quartier « sensible » ou « difficile », mais de la ville tout entière, comme un corps avec ses pleins et ses creux, ses plaies et ses bosses, ses articulations, ses nerfs, ses muscles, son histoire, sa forme.
De ce point de vue, Malakoff / Pré-Gauchet est bien un difficile, un beau, un grand projet de ville que nous passons au triple tamis de l’histoire, des témoignages, de l’analyse.
L’histoire d’abord avec un texte de Dominique Amouroux, critique d’architecture bien connu des lecteurs de Place publique. Il montre la singularité de Malakoff depuis ses origines. Ce quartier, devenu à Nantes emblématique des tensions urbaines, est pourtant aéré, idéalement situé, d’une superficie modeste. Simplement peut-être a-t-il eu le tort d’avoir été conçu au moment où l’on commençait à renoncer à ce type d’urbanisme et où se refermait, sans qu’on le sache, la parenthèse d’extraordinaire expansion économique qu’on nomme les Trente Glorieuses.
Sociologue et praticien de la ville, Paul Cloutour conte par le menu comment la politique de la ville, dont il est au jour le jour l’un des acteurs, s’est exercée à Malakoff. Ce récit de l’intérieur a ceci de précieux qu’il décrit en détail la patience nécessaire au chevet d’un quartier convalescent. La géographe Anne Bossé et la sociologue Élisabeth Pasquier rédigent ensemble un texte sur la mosquée du quartier, si remarquable quand on pénètre dans la ville en venant de l’Est : un lieu de culte et de culture, une manière de se faire une juste place dans la ville pour une bonne part de la population du quartier. Cette trop brève histoire de Malakoff se clôt sur une contribution du politiste Goulven Boudic consacrée à trente ans d’élections. Où l’on vérifie qu’il faut se défier des idées toutes faites : on s’abstient beaucoup dans le quartier, mais pas toujours et pas fabuleusement plus qu’ailleurs ; la gauche continue d’y réaliser de très bons scores ; le Front national ne parvient pas à s’y implanter.
Deuxième section de ce dossier : les témoignages, et en premier lieu celui d’Hugo Chereul, un jeune professeur de “Science de la vie et de la terre” qui a enseigné six ans dans l’ancien collège avant d’obtenir sa mutation dans un « établissement de centre-ville hyper favorisé. » Lisez… Peut-être, à vrai dire, devriez-vous commencer par ces quatre pages qui en disent long sur la vraie dans un collège « difficile ».
Enseignante elle aussi, directrice d’école maternelle, militante communiste, Ghislaine Leloup a vécu une autre époque de Malakoff, celle des débuts, celle du printemps d’un gros village sur lequel, quarante ans après, elle continue de porter un regard tendre. Notre troisième témoin, Patrick Devenyns, est pharmacien. Arrivé en 1987, il comptait ne rester là que quelques années. Il y est toujours et tient un propos qu’on pourrait dire d’ethnologue sur le « territoire » où il se sent « accepté et protégé ». Enfin, le directeur de l’opéra Jean-Paul Davois, qu’on n’attendait spontanément dans un tel dossier, conte comment on donne du Darius Milhaud dans le bistrot de la rue d’Angleterre – qui a brûlé depuis.
Troisième temps de ce dossier : l’analyse. Elle s’ouvre par un entretien avec l’urbaniste Gérard Pénot, choisi il y a une dizaine d’années pour repenser Malakoff. Vu d’avion, entre Loire et Petite Amazonie, le quartier est bien séduisant, mais le modeleur du site le rappelle avec bon sens : « La ville se conçoit à partir du piéton. » Laurent Devisme, directeur du laboratoire Langages, Actions urbaines, Altérité de l’École d’architecture de Nantes, prolonge cette réflexion spatiale en remettant en cause un des présupposés du Grand Projet de Ville, l’enclavement de Malakoff.
À propos du transfert du collège, Goulven Boudic se livre à une intéressante réflexion sur le décalage entre les témoignages et la parole officielle. Et si ne pas dire toute la vérité était la condition même pour réussir la mutation du quartier ? Enseignant à l’Institut français d’urbanisme, Pierre-Arnaud Barthel situe le projet dans son contexte national : « un bon élève dans le paysage de la rénovation urbaine ». Mais attention, avertit le sociologue Renaud Epstein, en période de vaches maigres, « la rénovation urbaine, c’est fini ». Même s’il estime qu’à Nantes, « les conditions sont réunies pour que la dynamique se prolonge par temps de crise et d’argent public rare. »
Le nouveau maire de Nantes, Patrick Rimbert est un spécialiste de l’urbanisme : il fut à l’Assemblée nationale le rapporteur de la loi Solidarité et renouvellement urbain. C’est aussi lui qui a piloté le projet Malakoff / Pré-Gauchet (en même temps que celui de l’Île de Nantes). Il tire un bilan mesuré et lucide de l’action entreprise : « nous n’avons pas éliminé tous les problèmes de la société et ils ont forcément un impact sur Malakoff. Mais les logements sont plus confortables, la cité est plus belle, elle est mieux rattachée à la ville. Oui, on a eu raison de faire ça, et il faut continuer à le faire. »
Mais pourra-t-on continuer ? « Il faut être attentif à la manière dont l’État va rebudgétiser les opérations de rénovation urbaine », répond Patrick Rimbert.
Voilà qui promet d’intéressantes conversations entre le maire de Nantes et le Premier ministre.