janvier-février 2012

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édito
Le voyage à Nantes
Nantes met la culture au service de ses ambitions touristiques. De Flaubert à Spiderman, une histoire du tourisme à Nantes/Saint-Nazaire. Et des questions sur le projet du Voyage à Nantes.
« En 2012, l’art renverse Nantes ! À travers un parcours dévoilé à l’été 2012, la ville sera révélée au public qui découvrira différemment Nantes par de nouveaux points de vue, des monuments sublimés par des interventions artistiques ou encore des œuvres en plein cœur du paysage. Château des ducs de Bretagne, Lieu Unique, Nantes-Angers Opéra, centre d’art du Hangar à bananes, Les Machines de l’île, Mémorial de l’abolition de l’esclavage, musée à ciel ouvert d’Estuaire, La Fabrique, les festivals… Au cours d’escapades citadines, sauvages ou maritimes, la ville se dévoile en un dialogue entre art et paysage, patrimoine historique et architecture contemporaine : Le Voyage à Nantes vous fait découvrir ce monument dispersé en un parcours qui fait de Nantes une véritable ville d’art et de culture. »
Voilà pour les intentions, telles qu’elles sont exposées sur le site Internet du Voyage à Nantes. On verra les réalisations cet été, même si l’événement touristico-culturel prendra fin dès le 19 août au lieu de début septembre pour des raisons budgétaires. Des Allumées au Voyage à Nantes en passant par Estuaire, Jean Blaise, le directeur de la nouvelle structure, persiste et signe : metteur en scène du territoire il est et il demeure. À cela près qu’il ne s’agit plus seulement, cette fois, de redonner confiance à la ville du début des années 1990, secouée par la crise des chantiers navals, ou de faire découvrir au public l’estuaire, ce lien physique entre Nantes et Saint-Nazaire. Cette fois, l’ambition est de faire jouer à Nantes sa partition dans le grand concert du tourisme urbain qui se développe en Europe.
Cette ambition, nous l’interrogeons dans ce dossier qui s’ouvre, comme souvent, par un retour en arrière. En effet, on n’a pas attendu Jean Blaise pour voyager jusqu’à Nantes et à Saint-Nazaire. D’abord pour des raisons commerciales ou politiques puis pour le plaisir. C’est au 19e siècle en effet que s’invente progressivement le tourisme. Arrivant à Nantes par voie d’eau, des écrivains comme Stendhal ou Flaubert en sont les acteurs et livrent de précieux témoignages sur notre ville, rappelés par Jacques Boislève.
Inséparables des touristes, les guides touristiques. Didier Guyvarc’h en dresse une passionnante histoire qui remonte à 1840. Tous, au fond, se posent la même question : que faire pour retenir le touriste à Nantes ? Même s’ils y apportent des réponses variant selon les époques. Même sans en être conscient, Le Voyage à Nantes et son Spiderman, son homme-araignée juché au sommet de la tour Bretagne, s’inscrivent dans une longue tradition.
Il fallait évidemment inclure Saint-Nazaire dans cette rétrospective. Le train, qui y arrive six ans après Nantes, en 1857, permet aux voyageurs de rejoindre la côte quand il fallait jusque-là utiliser les diligences ou les vapeurs descendant la Loire. Non contente d’être une gare d’arrivée, Saint-Nazaire est un port de départ pour les Amériques grâce aux lignes de la Compagnie générale transatlantique. Daniel Sicard fait revivre ces étonnantes années. C’est à cette brillante histoire portuaire que Saint-Nazaire doit la place qu’elle occupe dans la littérature et même la bande dessinée puisque, on le sait, Tintin et le capitaine Haddock passèrent sur ses quais. Grâce à la Maison des écrivains et traducteurs étrangers, installée sur le port, Saint-Nazaire continue de se faire tirer le portrait par les auteurs de passage, comme l’explique Philippe Dossal.
Une fois mieux connu l’arrière-plan historique, place au débat. Il s’ouvre par un entretien avec Valérie Demangeau, la présidente du Voyage à Nantes. « Une force de frappe commune au service du territoire », dit-elle de cette nouvelle structure touristico-culturelle dont elle compte bien obtenir des retombées concrètes en termes d’activité et d’emplois. Anthropologue, spécialiste du tourisme et des voyages, Jean-Didier Urbain montre dans quel cadre s’inscrit Le Voyage à Nantes : les villes sont redevenues des destinations touristiques. Pour se faire une place dans un marché encombré, elles doivent s’inventer des « patrimoines alternatifs ». C’est la signification, à Nantes, de l’Éléphant ou de l’homme-araignée qui a su, en quelques semaines, imposer sa silhouette incongrue.
Le tourisme urbain est donc affaire d’image, insiste l’historien Alain Croix. Le regard du voyageur est façonné par son époque et ses propres expériences. À son tour, il impose sa vision. Nous contemplons Nantes avec les yeux de Turner, d’André Breton et de Barbara. Cela aussi a bien été compris par les initiateurs du Voyageur à Nantes dont l’ambition est d’inventer une nouvelle image de cette ville. Les professionnels du tourisme sont des ingénieurs de l’âme. Attention, fragile !
En philosophe, Jean-Claude Pinson expose les différentes critiques adressées aujourd’hui au tourisme : un nouvel opium du peuple qui dévaste la planète. Mais le pire n’est pas toujours sûr, le Disneyworld généralisé n’est pas une fatalité : le tourisme « par l’usage du vaste monde » pourrait contribuer « à la formation éclairée de l’individu », ce qui n’est pas si facile dans une époque de massification. Même jugement balancé chez l’architecte et géographe Anne Bossé. S’appuyant notamment sur l’expérience d’Estuaire, elle montre en quoi la visite transforme les lieux et le visiteur, pour le meilleur et pour le pire.
Et maintenant, que Le Voyage à Nantes nous transporte !

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