Sommaire #1






















































































































































Marie-Hélène Jouzeau
Place publique #1
------------------------

LE DÉBAT

Un musée d’histoire de la ville, pour quoi faire ?



LE SUJET > Cette table ronde, tenue le 14 décembre 2006, reprend, développe et met en perspective certains des thèmes abordés tout au long de ce dossier. À quoi va servir ce musée d’histoire et d’interprétation de la ville ? Pour qui est-il conçu? Livre-t-il une version officielle de l’histoire de Nantes? La sortie de chaque numéro de Place publique sera précédée d’un débat de ce genre, organisé en commun avec Nantes Culture et Patrimoine. Son compte rendu sera publié dans la revue. Son enregistrement sonore et visuel sera versé aux collections du Musée du château.


THIERRY GUIDET > François Mairesse, vous mettez pour la première fois les pieds à Nantes. Vous avez eu l’occasion, cet après-midi, de visiter le musée en avant-première avec sa directrice, Marie-Hélène Jouzeau. Votre première impression ?


FRANÇOIS MAIRESSE > Cette première impression, bien sûr, est positive. Je mesure toute la portée de ce musée et de ce monument. Dès qu’on entre à Nantes, on se rend compte qu’il s’agit d’un lieu important, importantissime, pour la ville. C’est la première chose. Je voudrais aussi parler de l’avant-dernier musée que j’ai visité, celui du quai Branly à Paris. Ce musée, qui est censé nous parler des autres, de la culture des autres, est sans doute un lieu qui n’a jamais autant parlé que de nous. En fait, quel que soit son thème, tout musée parle de nous. Le musée parle de l’humain, de la personne qui l’a créé. C‘est même assez curieux dans le cas du Musée du quai Branly. Voilà un musée qui dit : l’homme est un collectionneur, quelqu’un qui adore le zapping culturel. Le message développé dans le Musée du château donne une image très positive des Nantais. D’abord, il a une vision claire. Ceux qui ont visité le Musée du quai Branly comprendront la différence avec cet établissement sombre, noir, enchevêtré. Oui, le Musée du château délivre un message, c’est un musée d’idées et cela, c’est extrêmement important. Et puis il porte sur quelque chose qu’on ne valorise pas tout le temps, c’est-à-dire l’histoire. La première réflexion que je me fais est la suivante : pourquoi une municipalité consacre-t-elle un budget important, colossal pourrait-on dire, à contre-courant de beaucoup d’autres villes, régions ou départements ? Je pense qu’on y reviendra un peu plus tard. Voilà mes premières réactions à brûle-pourpoint.

THIERRY GUIDET > Un musée d’idées, ça veut dire un musée d’historien ?

DIDIER GUYVARC’H > J’espère que ce sera un musée d’historiens, en tout cas pas un musée de mémoire. Il y a là une différence essentielle à établir, surtout à Nantes. La mémoire, c’est le présent du passé, c’est la justification d’une action quotidienne, ça peut être la repentance, le support d’identités abusives, parfois. Ce n’est pas ce travail qui a été mené à Nantes. Nous avons, au contraire, recherché la mise à distance des mémoires. Quand on parle de musée d’interprétation, ça me va bien. C’est bien le but d’un musée d’histoire de ville que d’éviter les emballements, les conflits de mémoire, et il y en a quelques-uns à Nantes… Le travail qui a été fait par les conservateurs et, quand on a pu les aider, par le conseil scientifique allait dans ce sens : ne pas confondre histoire et mémoire en permanence.

THIERRY GUIDET > Musée d’idées, ce n’est pas une expression un peu effrayante ?

FRANÇOIS MAIRESSE > Je voudrais clarifier ce que j’entends par musée d’idées. J’oppose musée d’idées et musée d’objets, je défends ce que d’autres ont appelé une muséologie du point de vue. Un musée d’objets conduit à une certaine fétichisation de l’objet. Ce qui m’a fortement impressionné ici, c’est qu’on ressent, bien sûr, un respect par rapport à l’objet ; on y expose d’ailleurs de très beaux objets. Mais on sent qu’un choix a été effectué pour faire ressentir le sens de chacun de ces objets. Une réflexion préalable a été menée et c’est en fonction d’elle qu’ont été choisis les objets. Je trouve très appréciable cette liberté par rapport aux objets : on n’en fait pas des reliques.

THIERRY GUIDET > Yannick Guin, vous avez été interpellé par François Mairesse quand il dit que la ville de Nantes va à contre-courant…

YANNICK GUIN > Eh bien tant mieux. Il y a trois raisons qui nous ont conduits à concevoir ce musée d’histoire en effet à contre-courant. Reprenons chronologiquement les choses. Quand nous avons été élus en 1989, quelle était la situation ? Le château était un monument en péril. On le sait peu. À l’intérieur, il y avait six musées très dispersés. C’était le résultat d’une histoire ; il y avait des objets incontestablement intéressants, mais tout cela était très dispersé. En un mot, ça n’avait ni queue ni tête. Ce n’était pas complètement inintéressant, mais ça n’avait pas de sens. Cela, c’est le premier point. Le deuxième, le point essentiel, c’est la préoccupation historienne et citoyenne. Il est essentiel de travailler sur ce que j’appelle l’historicisation de la société, sur le fait que l’histoire y soit très fortement présente. D’ailleurs, dans notre région, il existe un fonds intellectuel, un fonds de connaissances et de travail assez important dans la population. Beaucoup de gens s’intéressent à l’histoire. Cela remonte à loin, peut-être aux guerres de Vendée. Une population doit être chargée d’histoire, chargée de conscience. Elle doit connaître les mécanismes de l’histoire, autrement comment se situer comme citoyens ? Tout ceci est d’autant plus nécessaire qu’il y a dans l’agglomération un renouvellement très important de la population. Énormément de gens sont venus habiter à Nantes et se trouvent évidemment dans l’ignorance de cette histoire lourde et lente, pour reprendre le titre d’un romancier. Et puis je pense qu’il faut que cette conscience soit très largement partagée par l’ensemble de la population, notamment ses éléments les plus populaires. La présence de l’histoire, le travail de l’histoire au sein de la population nécessitait absolument qu’on dispose d’un grand point de repère comme ce musée. Et puis il y a une troisième grande idée qui est arrivée un peu plus tard, dans les années 1994-1995. C’est la question politique de la constitution d’une métropole qui puisse compter dans l’Europe d’aujourd’hui. Comment imaginer un seul instant qu’on puisse être une grande ville si nous n’avons pas un lieu où l’on puisse voir et comprendre cette histoire forte et lourde ? On ne peut pas envisager une ville qui compte parmi les cent villes européennes sans rendre visible quelque part cette histoire très forte de Nantes et de l’ensemble de la région. Ces trois idées se sont superposées, elles ont imposé l’idée de ce musée, très naturellement chez certains, moins naturellement chez d’autres. Ça ne s’est pas fait si facilement… Au fond, au lieu de ce musée d’histoire, on aurait pu avoir une animation autour du château. Eh bien, ce n’est pas ce qui s’est produit, pour les trois raisons que je viens d’indiquer.

THIERRY GUIDET > Non seulement Nantes aurait pu faire du château autre chose qu’un musée. Mais on aurait pu imaginer aussi qu’il y ait plusieurs musées d’histoire à Nantes. Il y eu notamment un débat sur la question de savoir s’il fallait créer un musée spécifique de la traite négrière dans une ville qui a été profondément marquée par ce pan de l’histoire. Qu’est ce qui a amené la ville à dire : faisons plutôt un musée d’histoire totale, d’histoire globale de la ville ?

YANNICK GUIN > Eh bien je crois que la réponse est contenue dans la question. Certes, la traite est très importante dans l’histoire de Nantes, mais il faut la situer dans la longue durée. Nous sommes entrés dans des sociétés de l’instant alors que, comme républicains, nous voulons inscrire le citoyen dans la durée. Effectivement, c’est l’inverse de ce à quoi la société nous entraîne. Un grand musée d’histoire dans une ville, c’est une lutte, c’est une résistance. Oui, c’est une lutte contre les lieux communs que la société nous impose. Alors, bien sûr, la question de la traite est très importante, et d’ailleurs le musée comporte plusieurs salles sur ce sujet. Mais il faut inscrire la traite dans l’ensemble de notre histoire : l’accumulation primitive du capital, le commerce atlantique, les mécanismes de l’industrialisation…

THIERRY GUIDET > Il existe déjà un autre musée d’histoire à Nantes. C’est le musée Dobrée, qui traite de la préhistoire, de l’Antiquité, du Moyen Âge. Quelle articulation entre ces deux musées ?

YANNICK GUIN > Elle est très simple. Les conservateurs se sont rencontrés pour se mettre d’accord sur une sorte de division du travail et aussi, parfois, pour échanger des documents. Cela pour assurer une bonne entente mais aussi pour nouer une collaboration entre les établissements de manière que les visiteurs puissent sentir et comprendre l’histoire dans sa continuité, de l’Antiquité à aujourd’hui.

THIERRY GUIDET > Dans ce numéro, nous publions des articles sur d’autres musées d’histoire : Hong Kong, Montréal, Barcelone. Je me tourne vers François Mairesse pour lui demander si l’expérience nantaise est si singulière que cela ou, finalement, assez commune.

FRANÇOIS MAIRESSE > C’est difficile à dire parce que, dans le concept de musée d’histoire, il y a à boire et à manger. Vous avez parlé à l’instant du musée Dobrée comme d’un musée d’histoire, c’est vrai, mais c’est d’abord un musée de collectionneur, une collection privée qui traite d’un très grand nombre de thèmes et qu’on a désignée à un moment sous l’étiquette de musée d’art et d’histoire. Mais le principe du musée d’histoire de ville est fort différent. Au départ, c’est quand même un propos sur la ville. Encore que certains musées d’histoire de ville, comme le musée Carnavalet à Paris, ou peut-être le musée de la ville de Bruxelles qui, au début, avaient probablement une vision, se sont laissé progressivement envahir par des collections et doivent gérer aujourd’hui un patrimoine tout à fait considérable. Ce qui est intéressant à Nantes, c’est la remise à niveau complète. La grande force de ce musée est d’être parti d’un fonds assez considérable dans lequel le musée a puisé. Il y avait au moins trois collections très importantes qui pouvaient donner un matériau tout à fait remarquable et qui ont permis d’assurer la cohérence entre l’objet et l’idée. Prenons l’exemple de Barcelone dont vous rendez compte dans ce numéro. Il existe un musée d’histoire de la Catalogne uniquement composé d’artefacts. J’ai visité ce musée avec un historien d’art qui jugeait que c’était le pire musée au monde qu’il ait jamais vu : on n’y trouvait aucune œuvre originale ! Mais c’est un musée qui fonctionne extrêmement bien du point de vue pédagogique. À Nantes, on se trouve dans une voie médiane entre les deux : on a parfois recours à des moulages, à des fac-similés, et en même temps on maintient une relation avec des objets qui sont très forts. Le pouvoir du musée, c’est quand même la relation avec l’objet, avec ce qu’on pourrait appeler la vraie chose. Tout d’un coup je me retrouve face à face avec une figure sculptée à la proue d’un navire… Je me retrouve face à un objet dont les dimensions me surprennent, face à un objet très ancien, qui a plus de 5 000 ans quand je n’en ai que 40… Oui, on se retrouve face à quelque chose qui touche à la relique. C’est le pouvoir de la chose. Mais on n’est pas uniquement en admiration devant elle… Non, je ne peux pas vous donner d’exemple identique à Nantes. Mais ce rapport à l’objet, je l’ai quand même rencontré dans quelques musées, comme celui de Pointe-à-Caillière, à Montréal, dont vous parlez aussi dans ce numéro. J’ai été ravi d’apprendre qu’il existait des liens entre ce musée-ci et celui de Pointe-à-Caillière. On sent une sensibilité identique même si les propos sont différents. À mon sens, ici les propos sont souvent plus engagés, on tient des discours qu’on ne pourrait pas tenir dans des pays anglo-saxons.

THIERRY GUIDET > Didier Guyvarc’h, il me semble que les propos tenus à l’instant par François Mairesse posent bien l’un des problèmes qui ont été au cœur des travaux du conseil scientifique. Comment articuler un discours historique quand on ne dispose pas des objets qui permettraient de l’illustrer ? Et, à l’inverse, comment ne pas se laisser envahir par les collections pour dire ce qui compte vraiment dans l’histoire de la ville ?

DIDIER GUYVARC’H > Eh oui, deux sensibilités différentes sont apparues au sein du conseil scientifique : celle des conservateurs et celle des historiens. Cela a alimenté un débat quelquefois assez vif. Il y a 50 000 objets dans les collections du château, seuls 800 vont être exposés. Vous imaginez la difficulté d’une sélection… Mais le manque d’objets soulève d’autres difficultés : il y a des oublis dans l’histoire, des occultations, il y a les oubliés de l’histoire. Que fait-on des anonymes de l’histoire qui, en général, n’ont pas laissé beaucoup de traces ? Cela pose tout le problème des artefacts, de l’audiovisuel, du recours au virtuel avec les dangers qu’on connaît bien, mais en même temps la nécessité pédagogique de représenter ceux qui étaient là et n’ont pas laissé de traces. Nous avons eu un débat permanent au sein du conseil scientifique qui a même failli provoquer sa disparition. Mais c’était bien, ça voulait dire qu’on était dans une démocratie culturelle, de citoyens. Le musée doit rester ce lieu de débats pour les visiteurs. Ils sont en droit de nous demander : pourquoi avez-vous fait le choix de ces 800 objets ? Quand François Mairesse parle de fascination de l’objet, de l’objet vrai, oui, sans doute… Mais en même temps il faut savoir jouer et bien jouer sur ce qui n’est pas là. Comment montrer le silence ? Nantes a été longtemps une cité oublieuse de plusieurs sujets de son histoire. Oui, comment montrer le silence ?

THIERRY GUIDET > François Mairesse, vous disiez à l’instant qu’un musée comme celui-là, on l’imaginerait mal dans un pays anglo-saxon. Pour quelles raisons ?

FRANÇOIS MAIRESSE > Ici, on peut plus facilement se permettre d’être politiquement incorrect. Yannick Guin a parlé de l’idéal républicain. C’est un fond important qui permet d’éviter certains tabous, d’aller au fond des choses, de parler par exemple de la traite négrière. J’en discutais cet après-midi avec Marie-Hélène Jouzeau : quand on parle de cargaisons, de nègres, eh bien, des expressions comme ça sont devenues inimaginables dans des pays anglo-saxons. C’est courageux, mais c’est possible aussi parce que les descendants, ils ne sont pas là, ils sont justement dans les pays anglo-saxons. Il y a eu des expositions sur l’esclavage accusées d’être trop politiquement correctes, parce qu’elles donnaient dans l’auto-flagellation, ou parce qu’elles enjolivaient un peu trop les choses. De toute façon ce sont des choses difficiles à évoquer et il y a bien des musées qui se seraient plus facilement autocensurés. Vous savez, on ne parle pas beaucoup des Amérindiens dans les musées au Québec et quand on en parle, c’est toujours sous l’œil des Amérindiens.

THIERRY GUIDET > Didier Guyvarc’h est en train de faire des moues réprobatrices…

DIDIER GUYVARC’H > Non, pas du tout. Je veux seulement dire qu’on a essayé de dire l’histoire. Et l’histoire dite à travers les documents du 18e siècle, c’est effectivement un commerce, avec des cargaisons, des marchandises qu’on vend pour faire du profit. On est, comme le disait Yannick Guin, dans un mécanisme économique. Ce qui a rendu la traite possible, c’est bien la recherche du profit et l’absence de droits de l’homme au 18e siècle. Le musée a su éviter, me semble-t-il, d’entrer dans le politiquement correct des mémoires. Parce qu’il y a bien des descendants à Nantes, des gens qui se proclament descendants des négriers ou des esclaves, qui choisissent, qui construisent leur propre identité. On n’a pas subi ces mémoires-là. Elles ont été mises à distance.

FRANÇOIS MAIRESSE > Cette tentative d’objectivité justement est de plus en plus souvent remise en question dans un certain nombre de musées. Il y a, notamment dans les pays anglo-saxons, de plus en plus de lobbies qui disent : non, ça, ce n’est pas ma version. On a des exemples frappants : pour le bombardier qui a largué la bombe sur Hiroshima, un lobby de vétérans a pris à partie les historiens en leur disant : non, votre exposition ne peut absolument pas tenir ce discours. Cette volonté d’objectivité, dont vous faites preuve à Nantes, est liée à la manière dont on continue à enseigner l’histoire en France. C’est de moins en moins le cas dans certaines parties du monde.

THIERRY GUIDET > On est au cœur du débat. Didier Guyvarc’h disait tout à l’heure : on a essayé de dire l’histoire. Mais qui dit l’histoire ? Les conservateurs ? Le conseil scientifique ? La ville ? Est-ce que la municipalité nantaise est porteuse d’une conception achevée de l’histoire de Nantes ?


YANNICK GUIN >
Non, ce n’est pas du tout comme ça que le problème se pose. En tant que puissance publique, nous mettons en œuvre un devoir d’histoire. L’histoire, c’est la prétention à la science, mais pas à une science achevée, puisqu’elle est toujours en mouvement. Le mathématicien Poincaré disait : « La science progresse par la critique de la science constituée. » Oui, il y a un discours des historiens, à partir de concepts, de méthodes, d’utilisation des sources, des archives… Par conséquent, on peut toujours faire la critique de l’histoire constituée, dès lors qu’on parle le même langage méthodologique. En revanche, lorsque vous êtes sur le terrain mouvant et profondément subjectif de la mémoire, vous ne pouvez pas effectuer ce travail de critique distanciée parce que vous êtes souvent en présence d’éléments passionnels. Cela dit, il faut aussi faire un travail sur la mémoire parce que des groupes sociaux ont en effet besoin de références et de mémoire, et puis la mémoire elle-même peut inciter les historiens à mener des travaux plus approfondis sur tel ou tel sujet. Alors, le rôle de la puissance publique dans tout cela ? Il n’est pas de dire l’histoire. Cela n’empêche pas qu’à la municipalité de Nantes nous ayons par notre propre itinéraire et notre sensibilité une vision sur l’histoire. Mais ce n’est pas notre propos de dire cette vision dans un musée. Notre action officielle consiste à mettre en œuvre le devoir d’histoire. Et ça, c’est profondément républicain. Pourquoi ? La grosse différence avec la conception politique anglo-saxonne, elle est exactement là. Qu’est-ce que c’est la République en France ? Eh bien, c’est un régime qui repose sur l’idée que c’est le citoyen qui constitue et forme la République. C’est pourquoi le citoyen doit être instruit à l’école, instruit, éduqué et cultivé. Le musée d’histoire est cette prolongation de l’école. Sans l’instruction, l’éducation, la culture, la République n’existe pas. Elle est une pure construction intellectuelle alors qu’avec la conception anglo-saxonne nous sommes beaucoup plus dans la juxtaposition des intérêts communautaires, voire ethniques. L’extrême difficulté que nous avons c’est que notre République repose sur l’homme citoyen et non pas sur un ensemble d’intérêts particuliers qu’il faudrait faire coexister. C’est une des grandes tensions de la société française aujourd’hui. Et je pense qu’un musée d’histoire doit rentrer dans ce champ de la conception française de la République.

THIERRY GUIDET > Il se trouve que Nantes a connu, connaît encore des conflits mémoriels particulièrement vifs, peut-être plus vifs que dans beaucoup d’autres villes de France : la traite négrière, le rapport à la Bretagne, la dernière guerre, la place du mouvement ouvrier… Autant de sujets sur lesquels vous savez bien que beaucoup attendent le musée au tournant. Que fait ce musée de la mémoire sensible, de la mémoire douloureuse, de la mémoire conflictuelle ?

DIDIER GUYVARC’H > Les mémoires ne sont pas l’objet du musée, c’est une évidence. Nous ne sommes pas dans un pays qui fait se juxtaposer des mémoires, nous ne sommes pas dans une démocratie anglo-saxonne, nous sommes dans une République. Yannick Guin a bien reposé la problématique globale qui est fondamentalement politique. Cela dit, il y a quand même des témoignages, donc des mémoires individuelles, dans le musée. Je pense à la salle sur la Seconde guerre mondiale où l’on peut entendre et voir le témoignage très fort d’un résistant que beaucoup d’entre nous connaissent. Mais il est traité comme un témoignage, comme une source pour l’historien qui doit être contextualisée, et rien de plus. Ce témoignage ne prétend pas résumer la vision que la ville ou le musée proposerait de la Résistance à Nantes. Parlons un peu de la traite à présent. Là, les conflits de mémoire naissent dans une période relativement récente puisque Nantes a vécu une longue période d’oubli, jusqu’à la moitié du 20e siècle, alors que l’histoire était connue. Il y a eu des travaux d’historien sur le sujet, contrairement à ce qu’on a dit. La mémoire collective n’en voulait pas, mais l’histoire était écrite, partiellement, mais écrite quand même. Je pense aux travaux de Gaston Martin par exemple. Ceux qui voulaient savoir pouvaient savoir. La bataille des mémoires, elle, s’engage dans les années 1980 et dure jusqu’à maintenant puisque Nantes va avoir non seulement un musée, mais aussi un mémorial de la traite. On voit bien qu’entre les deux il y aura une sorte de gymnastique un peu difficile, une gymnastique entre l’histoire et la mémoire… Et la Bretagne ? Il y a des mémoires bretonnes. De qui parle-t-on ? Des élites des années 1920-1930 autour des cercles celtiques, des Verne, des Guillon-Verne qui découvrent la matière de Bretagne à ce moment-là ? Ou bien est-ce qu’on parle des Bas-Bretons, arrivés à Chantenay au 19e siècle, et qui sont rejetés ? L’Autre des Nantais à cette époque, c’est le Breton bretonnant, c’est-à-dire mes ancêtres. Aujourd’hui, c’est chic et choc d’être breton. À Nantes, les choses ont bien changé. Comment rendre compte de ça dans un musée ? Le débat a traversé le conseil scientifique. Je vous assure qu’on n’a pas éludé les questions que se posent les Nantais

FRANÇOIS MAIRESSE > Je connais très mal l’histoire de Nantes. Je porte donc un regard de candide. Ce que j’ai observé, c’est que ce musée va jusqu’à notre époque. Pour un musée d’histoire, c’est déjà un premier geste fort. Les luttes ouvrières, la désindustrialisation sont évoquées. Bien sûr, il y aura des communautés ou des groupes qui penseront que ce n’est pas assez. En cela, tout musée reste un projet politique, au sens le plus vaste qu’on puisse imaginer, mais aussi au sens relativement restreint. Il reflète toujours une vision politique de l’État ou de la municipalité. Il existe des musées très engagés. Je pense à l’Écomusée du Creusot à une certaine époque qui a fait une critique très forte des Schneider ou bien au musée de la révolution coréenne à Pyong Yang… Ces extrêmes montrent bien en quoi le musée est quelque chose de politique. Pour juger de la validité des analyses faites à Nantes, on aura évidemment besoin du recul du temps. Dans vingt ans, on mesurera mieux le caractère relatif de certains choix faits aujourd’hui. L’objectivité totale n’existe pas.

YANNICK GUIN > Ce n’est pas parce qu’un historien vous fait une somme formidable sur un sujet et croit avoir écrit un livre définitif que la réflexion s’arrête là. Il y aura toujours un autre historien qui va découvrir un fonds d’archives quelque part et qui contestera ce qui avait été déclaré dans un ouvrage qui pourtant fait autorité. Un musée ne met évidemment pas un point final à la réflexion. Tous les dix ans, tous les vingt ans, on reconsidère les choses, notamment pour l’époque la plus proche de nous. J’ajoute que nous avons une prétention à être une métropole européenne, nous agissons politiquement pour y parvenir et ce musée est une contribution à ce mouvement que nous impulsons. Il y a là un projet politique qui nous conduit, par exemple, à nous interroger sur ce que veut dire l’estuaire, car ce musée ne s’arrête tout de même pas à l’histoire de Nantes intra muros. Il manifeste justement une volonté d’extension à l’ensemble du Pays nantais et à sa liaison avec Saint-Nazaire. Il se trouve que j’ai aussi été à l’origine de l’Écomusée de Saint-Nazaire. Il a puissamment contribué à la transformation de la vision des Nazairiens sur eux-mêmes. Ça aussi, ça compte. On peut aider à ce que les Nantais ne portent pas sur eux-mêmes un regard nanto-nantais, introverti, mais au contraire un regard élargi et visionnaire.

THIERRY GUIDET > Le moment est venu d’entrer dans une nouvelle phase du débat et de se demander pour qui est conçu ce musée. Tout le monde ne fréquente pas les musées. Il s’agit même d’une pratique distinctive, pour parler comme naguère. Est-ce toujours aussi vrai ? Le rapport au musée se pose-t-il dans les mêmes termes selon qu’il s’agit d’un musée d’histoire de la ville, d’un musée des Beaux-Arts, d’un écomusée, d’un musée d’art contemporain ?

FRANÇOIS MAIRESSE > Oui, clairement, ce clivage social existe encore. Pierre Bourdieu, dans les années 1960, montrait combien plus le niveau d’éducation était élevé, plus on avait de chances de fréquenter les musées. Il est tout à fait évident que c’est encore le cas. On constate quelques évolutions très timides vers une plus grande fréquentation des musées par certaines classes sociales, mais… Et, j’ai regardé les statistiques, il n’y a pas grand écart entre les musées d’art et les musées d’histoire. Pour les muséums d’histoire naturelle, c’est un peu différent. Bon, il se trouve que le Musée du château est aussi un monument historique. On dispose donc d’une assiette un peu plus vaste, mais on verra toujours moins d’ouvriers ou d’agriculteurs dans les musées que de cadres supérieurs, et cela quoi qu’on fasse. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire ! Il y a des musées, notamment des écomusées, qui font la démarche d’entrer en contact avec une population, qui sont destinés à cette population et pas à d’autres. En tout cas, ce qui est sûr c’est que quand on prétend faire un musée pour tous, on ne fait un musée pour personne. Il faut affirmer clairement qu’on essaie de toucher tel ou tel public par le biais des expos temporaires ou des visites ciblées, mais c’est un travail de missionnaire. Il y a des gens pour qui ce sera toujours plus difficile d’aller au musée parce que les portes leur semblent infranchissables, culturellement infranchissables.

THIERRY GUIDET > Un constat décourageant pour un adjoint à la culture ?

YANNICK GUIN > Pas du tout. L’adjoint à la culture il est chargé aussi d’aller chercher les populations. C’est ça l’action culturelle. Par exemple, si vous dites : pas un enfant fréquentant une école primaire nantaise n’échappera au musée, (je souris en employant l’expression « n’échappera pas »), ça c’est un objectif politique. Ensuite, qu’est-ce qu’on fait pour y arriver ?

THIERRY GUIDET > C’est Julien Gracq qui raconte qu’il a un très mauvais souvenir du Musée des Beaux-Arts…

YANNICK GUIN > Justement, c’est ma deuxième réponse. On a regardé avec beaucoup d’attention les centres d’interprétation québécois, un terme qu’on préfère là-bas à celui de « musée ». Le rapport qu’on essaie d’y instaurer avec le public n’est pas le même que celui qui existe dans les musées un peu traditionnels. Il faut notamment rechercher des modes d’approche pour les milieux populaires. Ce n’est pas parce que vous êtes moins intelligent que vous ne fréquentez pas les musées, c’est parce que ce qui vous est présenté, la manière de la présenter, la manière d’accompagner, rien de cela ne correspond à vos modes d’approche personnels. Il est clair, pour simplifier, qu’en milieu populaire vous avez des approches plus pratiques que théoriques. Alors qu’est-ce qu’on fait ? Comment va-t-on procéder pour faire en sorte que des populations qui, normalement, ne viennent pas au musée se décident à y entrer ? Il ne faut pas que le musée soit figé, mais qu’il aborde le visiteur. Il y a tout un renouvellement à imaginer dans le rapport du citoyen au musée.

FRANÇOIS MAIRESSE > Justement, une dizaine de médiateurs vont être engagés dans ce musée, ça c’est assez remarquable. Il y a peu de musées qui, à ma connaissance, en France essaient cela.

THIERRY GUIDET > Un mot d’explication sur ces médiateurs…

YANNICK GUIN > Sous la direction des conservateurs, les médiateurs essaieront d’accompagner les visiteurs, en groupe comme cela se fait souvent, mais aussi parfois en prenant les gens un par un. Ce ne sont plus des guides, mais des gens qui accompagnent en personnalisant. C’est une force de frappe dont nous attendons beaucoup.

THIERRY GUIDET > Est-ce une pratique aussi innovante que cela ?

FRANÇOIS MAIRESSE > J’espère que ça ne veut pas dire qu’on se débarrasse du guide conférencier. Mais qu’on ait des gens vraiment à la disposition des visiteurs, c’est très, très bien. Il y peu de villes qui ont les moyens de se payer ça ! Il y a peu de villes, en fait, qui ont les moyens de se payer un musée de ville ! Beaucoup de villes construisent des musées parce que tout est parti, que la ville s’est vidée de ses activités et qu’il faut attirer les touristes. C’est le syndrome Bilbao, le syndrome Guggenheim. Ici, c’est autre chose. Bien sûr, le château va représenter quelque chose du point de vue touristique : trois étoiles dans les guides ! Il est clair que plein de gens vont venir. Pour autant, les touristes japonais ne vont pas passer un jour au Louvre et puis un jour à Nantes pour le musée d’histoire. J’ai lu que Nantes faisait partie des cinq villes les plus dynamiques et les plus agréables à vivre en France. On sent qu’il y a des possibilités, qu’il y a des moyens ici. J’entends un adjoint à la Culture dont les propos feraient plaisir à bien des conservateurs de musée qui ont parfois moins de chance avec leurs élus…

THIERRY GUIDET > Que veut-on dire et à qui le dit-on ? Le débat a tourné autour de ces deux questions. Mais ce musée réussit-il le tour de force de dire à la fois l’histoire de Nantes aux Nantais et aux Italiens, aux Allemands, aux Anglais ?

DIDIER GUYVARC’H > Pas facile de répondre. Il faut attendre qu’ils viennent. En tout cas, il y a eu un effort de présentation : un audio guide, y compris en breton, et des cartels en plusieurs langues. Mais je voudrais revenir en arrière. On a cité Bourdieu tout à l’heure pour expliquer les disparités sociales dans l’accès aux musées, or tout n’est pas affaire de capital culturel. Le blocage vient aussi de la représentation qu’on se fait des musées. Pendant longtemps, à Nantes les musées ont été considérés comme des entrepôts. Les conservateurs doivent bousculer ce système de représentations, peut-être plus ou en tout cas en même temps que de tenter d’élargir socialement l’accès au musée. Il y a un vrai défi qui porte sur la mise en évidence de la nouveauté du projet et du propos. En 1985, un maire de Nantes demandait : puisque la ville se désindustrialise, faut-il faire des musées partout pour compenser la fin de l’industrie ? Ou bien en 1924, les frères Amieux, les conserveurs, créent un musée qui va devenir le musée des Salorges et ils expliquent : on fait un musée pour vous montrer comment c’était mieux avant… Bref, il faut convaincre les gens qu’un musée ce n’est pas passéiste, que ce n’est pas un entrepôt de vieilleries. François Mairesse a bien posé le problème de l’altérité dans le musée en parlant du musée Branly. Comme disait le philosophe, l’autre, c’est le plus court chemin à soi-même. Ce musée est largement une prise de compte de l’altérité à Nantes, et surtout pas de l’identité, un musée ouvert, pas fermé, et donc ouvert aux étrangers par nature parce que Nantes, c’était un port, une ville métisse, tout, sauf une ville identitaire.

FRANÇOIS MAIRESSE > Et je le répète, la ville s’est donné les moyens de cette ouverture. Ce n’est pas : les Nantais parlent aux Nantais. Beaucoup d’autres villes se donnent aussi les moyens de construire un musée en se disant : grâce à ça on va attirer des touristes. Ici, le propos n’est pas celui-là, même si les touristes, les étrangers seront bien accueillis, je peux en témoigner.

YANNICK GUIN > Ce que vous dites, François, ne va pas de soi. Ce qu’il faut affirmer c’est le primat de la culture sur l’impératif économico-touristique. Si dans la société d’aujourd’hui on lâche un tout petit peu sur ce sujet on peut facilement avoir un renversement de situation : l’économique et le touristique vont déterminer le discours qu’on va tenir pour attirer le plus large public. Il y a donc là une question centrale pour l’avenir du Musée du château. Il ne faut pas lâcher un seul instant sur cet aspect-là. Il faut mettre en place des structures qui font que, à Nantes en tout cas de façon durable, on puisse maintenir ce primat du culturel et de l’historique sur ce que pourraient imposer l’économique et le touristique au nom de la conquête d’une clientèle. Alors, ce n’est pas facile parce qu’il y a toujours des arguments pour suggérer des accommodements, de manière à tenter de gagner tel ou tel public l’été… Mais en tout cas, pour l’instant, c’est comme ça. Je le dis avec beaucoup de solennité et de sérieux. Il faut que nous assurions la pérennité de cette idée. L’histoire est ouverte. Je pose ce point d’interrogation. J’avertis, j’avertis…


Les questions de la salle

GOULVEN BOUDIC > Je reviens sur l’éloge prononcé à plusieurs reprises de l’idéal républicain à la française. C’est un idéal qui, sur la question de la Révolution par exemple, a fait l’objet d’un certain nombre de réévaluations, de reconsidérations. L’éloge n’est-il pas d’autant plus appuyé qu’on observe un affadissement ou un refroidissement de cet idéal ?

YANNICK GUIN > C’est vrai qu’il y a sur la surface de la planète aujourd’hui deux visions de l’histoire, deux approches des problèmes. La démocratie anglo-saxonne nous gêne aujourd’hui au nom de la diversité. La République à la française se doit certainement de prendre beaucoup plus en compte qu’elle ne l’a fait jusqu’à maintenant cette question de la diversité. Cela ne justifie pas nécessairement que toutes les diversités aient prétention à imposer leur propre vision du monde. Je pense en particulier à une chose que nous vivons fortement à Nantes. Nous sommes très préoccupés par un certain nombre de jeunes gens venus de l’immigration, parfois depuis très longtemps, si bien qu’ils sont français, eh bien, au nom de références identitaires, ils se rattachent à d’autres histoires, celle du Maghreb par exemple. Mais quand on les interroge attentivement, je vais dire une chose sévère pace que je les aime beaucoup, on s’aperçoit qu’ils ne possèdent ni une culture ni l’autre, ni la nôtre ni la leur d’origine, ce qui est très troublant. Il faut d’abord qu’ils connaissent notre histoire et la leur. Très souvent, avec de jeunes Maghrébins je parle de la guerre d’Algérie ; la façon dont on la leur raconte dans leur pays d’origine est quand même assez particulière… L’approche républicaine, c’est d’abord une approche rationaliste, c’est le produit des Lumières. Les gens qui défendaient les Lumières au 18e siècle, ils étaient battus à coups de bâton ou bien mis en prison. C’était un siècle de combat, d’affrontement dont nous sommes les héritiers. Face aux fondamentalismes, aux mémoires manipulées, il faut avoir dans nos sociétés des démarches rationnelles. La démarche des historiens est une démarche rationnelle. Et je maintiens qu’il faut s’en tenir à ça, ne pas laisser les choses dériver, professer sous prétexte de multiculturalisme que tout est équivalent à tout, que tout est relatif. Nous avons des conceptions de l’histoire très différentes à Nantes, par exemple sur la guerre de Vendée, mais n’empêche que face à des documents on peut discuter. C’est une caractéristique à Nantes : on se parle, même quand on n’est pas du tout d’accord. Une société doit être traversée par ces dialogues, ces discussions, ces affrontements intellectuels. Ce qui caractérise la culture européenne aujourd’hui, Edgar Morin nous le dit tellement bien aujourd’hui, c’est que nous avons une culture du doute, de l’interrogation, de la mise en question. C’est ça qui nous rend dynamiques. Le musée d’histoire pour moi, c’est ce lieu où l’on a des confrontations avec le passé, avec le présent, avec les autres citoyens.
DIDIER GUYVARC’H > Je voudrais juste citer une phrase de Claude Levi-Strauss même s’il n’est pas le défenseur bec et ongles d’une République une et indivisible : « Le but des musées de société est d’apprendre aux gens qui ne le savent pas, et particulièrement aux adolescents, comment se situer dans la société où ils vivent. » Leur offrir cette possibilité, c’est déjà se placer dans la volonté éducative républicaine.

AUGUSTIN BARBARA > Je suis socio-ethnologue. J’ai une pratique de la conduite de groupes dans les musées. Je me définis comme un passeur de frontières, quelqu’un qui aide à franchir le seuil du musée. Les médiateurs, c’est très bien, mais s’ils restent à l’intérieur du château…

YANNICK GUIN > Non, non, les médiateurs ne seront pas enfermés derrière les remparts épais du château. Ils iront aussi, parfois des mois à l’avance, préparer des activités avec des groupes.

FRANÇOIS MAIRESSE > Le travail des médiateurs ne consistera pas tant à parler de ce qui se trouve à l’intérieur du musée que de la manière de l’utiliser : comment s’en servir comme d’une boîte à outils ? C’est un musée très vaste. On n’en fait pas le tour en une heure. Une seule visite ne l’épuise pas, il faut y revenir. Il y aura un premier afflux provoqué par la curiosité des Nantais. Mais après, comment amener les gens à revenir ?

FRANÇOISE GUILLOTE > Qui seront les médiateurs, comment seront-ils formés ?

MARIE-HÉLÈNE JOUZEAU > Notre intention, c’est de mettre en place la présence humaine qui souvent manque dans les musées. Les visiteurs peuvent se sentir démunis, écrasés, une fois qu’ils ont franchi le seuil. La présence de l’humain est de nature à établir ce lien sensible entre un patrimoine et des individus qui ont bien voulu venir jusqu’à ce patrimoine. Les médiateurs seront amenés à accompagner les visiteurs quels qu’ils soient Ils peuvent être présents dans les salles pour aider le visiteur un peu perdu ou qui veut poser des questions. Ils peuvent prendre en charge un groupe d’un centre de loisirs, animer un atelier du mercredi ou du samedi, assurer une visite conférence pour des adultes. Au-delà de ces missions, ils font partie de ce qu’on appelle le service des publics dans un musée, le service qui s’interroge sur la manière d’étendre les publics du musée. Le médiateur est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur pour prendre des contacts avec les acteurs locaux, les professionnels dans les quartiers, les hôpitaux, les prisons, les écoles… Vous allez me dire : quel sacré profil ! Des métiers de ce genre se développent dans la filière du patrimoine. La médiation, ça s’enseigne maintenant dans les universités, à l’École du Louvre ou dans d’autres instituts d’histoire de l‘art. Les médiateurs du château ont suivi des formations dans ce domaine. Il y aura aussi parmi eux des étudiants en histoire de l’art car le musée sera ouvert sept jours sur sept l’été. En résumé, il n’y a pas de profil type du médiateur. C’est un nouveau métier. Les années qui viennent vont nous aider à préciser ces profils. Nous donnerons aussi une formation sur place, une formation qui portera sur le château, les collections, nos intentions politiques en matière de public et d’enseignement de l’histoire dans un musée.
A