Place publique #6
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Contribution


Comment entrer dans la cour européenne ?

Texte > Philippe Audic



Résumé > Nantes/Saint-Nazaire exerce une attraction indéniable à l’intérieur des frontières nationales. Il lui faut désormais entrer dans la cour européenne. Pour cela, la métropole doit se comparer aux grandes villes européennes et donner une dimension internationale aux atouts qui font déjà son succès.


S’internationaliser, pour un territoire, est une nécessité dans ce monde où le libre-échange s’impose et où, dès sa naissance, une entreprise peut être concurrencée sur son marché qu’on aurait qualifié de local, il y a peu, et qui est devenu, de fait, une part locale du marché mondial.
S’internationaliser, c’est permettre aux entreprises « locales » d’accéder au marché mondial et d’aller, elles aussi, concurrencer leurs homologues sur leurs propres territoires. C’est aussi attirer et accueillir des entreprises et, plus largement, des opérateurs internationaux qui diffuseront d’autres manières de produire, travailler, vendre… et qui, surtout, contribueront à brancher le territoire et sa population sur d’autres territoires, sur d’autres cultures…
L’internationalisation d’un territoire est un processus de longue haleine. Il suppose de constituer et de réunir les éléments d’une attractivité opérante sur des entreprises et des acteurs internationaux, puis de valoriser cette attractivité grâce à une promotion efficace.
Les composantes de l’attractivité relèvent de nombreux domaines. Une stratégie d’internationalisation doit donc associer et mobiliser tous les acteurs concernés. Pour Nantes/Saint-Nazaire qui ambitionne, à juste titre, d’être la métropole européenne de l’Ouest Atlantique, cette mobilisation doit d’ailleurs impliquer aussi des partenaires extérieurs à son propre territoire.
Cela posé, nous essaierons de préciser les processus, les moyens et les actions nécessaires à l’internationalisation de Nantes/Saint-Nazaire.

Comment se développe un territoire
Un territoire se développe selon deux processus inversés et successifs. Ce sont d’abord les activités économiques qui provoquent l’afflux de population. Lui-même nécessite la création, puis le développement, de services et d’équipements d’intérêt général. Au cours de cette phase, là où les entreprises se fixent, la population s’installe.
Et puis, dans un second temps, c’est l’attractivité qu’un territoire exerce sur les hommes qui devient le principal moteur de son développement. Là où les individus et les familles s’installent, les activités suivent ou naissent.
Ces processus successifs du développement d’un territoire sont, à chaque fois, à reconstruire par rapport aux espaces sur lesquels il ambitionne de rayonner : la région, la nation, l’Europe, le monde… Autrement dit, à chaque changement de cour, il est nécessaire de repasser par la première phase.
L’attractivité est le résultat de la combinaison (réelle et/ou perçue) de divers éléments. Y participent des atouts naturels comme le climat ou la proximité de la mer et une certaine manière de vivre ensemble : l’attachement au territoire et à son histoire ; la fierté par rapport à ses diverses réussites (sportives, culturelles, économiques….) ; la capacité et la qualité d’accueil (ouverture, cosmopolitisme, langues…). La culture joue un rôle croissant dans l’attractivité d’un territoire : fêtes, festivals, troupes, événements, musée, équipements récréatifs et de loisirs, tranquillité publique. Même chose pour les points forts dans le domaine de l’éducation : université, grandes écoles, formation continue…
Entrent aussi en ligne de compte les services (santé, commerces, logement) et les communications, qu’il s’agisse des facilités de déplacements à l’intérieur du territoire ou à l’extérieur, mais aussi des télécommunications (câble, WiMax, satellite, haut débit, hertzien numérique, ADSL, CPL, diffusion numérique…) ou de l’offre médiatique (télévisions, radios, presse, édition…)
Tout cela ne doit pas faire oublier les atouts économiques d’un territoire : la diversité et la dynamique de son tissu ; la vitalité du marché de l’emploi qui peut permettre de se construire un parcours localement. Les entreprises ont évidemment besoin d’une main d’œuvre de qualité et de quantité satisfaisantes et d’un marché atteignant la masse critique. Où l’on vérifie l’affirmation énoncée plus haut : les activités s’implantent où les hommes s’installent.
Ajoutons à ces fondamentaux de l’économie des atouts comme la présence de spécialistes de l’ingénierie, des finances, du marketing ; l’existence d’infrastructures de transport (port, aéroport, rail, transporteurs routiers) ; le niveau de la fiscalité locale.
Sans posséder toutes les cartes en mains, Nantes/Saint-Nazaire dispose de suffisamment d’atouts pour séduire les Français et, par conséquent, attirer les entreprises. En témoigne la croissance de sa population. Mais ce cercle vertueux n’excède guère les frontières nationales. Au-delà, même en Europe, la capacité d’attraction de Nantes/Saint-Nazaire reste faible, voire inexistante. Le défi lancé à Nantes/Saint-Nazaire pour la ou les décennies à venir est de séduire aussi les Européens.
Pour cela il est indispensable d’élaborer une stratégie (objectifs, parcours, moyens) avec les acteurs et partenaires concernés (Université, Chambres de commerce, Port, entreprises, acteurs du tourisme, de la culture, Cité des congrès…) du territoire et, plus largement, de l’Ouest Atlantique.
Sans préjuger de cette stratégie à bâtir, on peut d’emblée affirmer qu’elle nécessitera de s’étalonner. Nantes/Saint-Nazaire ne doit plus seulement se comparer à Rennes, Bordeaux, Lyon ou Lille, mais aussi à Anvers, Düsseldorf, Édimbourg, Bilbao, Bologne, Brème… Elle devra aussi donner une dimension internationale aux facteurs qui concourent pour l’instant à l’attractivité de Nantes. Elle devra les mettre en conjonction et en faire la promotion.

S’évaluer pour évoluer
Changer de cour suppose de mesurer ses forces et faiblesses dans le champ de l’Europe. Cela peut être fait à partir, par exemple, de la grille proposée par le professeur Panayotis Soldatos, de l’Université de Montréal 1 :

• Situation géographique avec les atouts (le port par exemple) et les handicaps (éloignement du centre de l’Europe).
• Émission/réception de flux économiques avec l’étranger (commerce, investissements, capitaux, services…)
• Présence d’acteurs internationaux : entreprises, organisations internationales gouvernementales ou non…. (ex Interpol à Lyon).
• Émission/réception de personnes : touristes, étudiants, chercheurs, cadres….
• Communications directes avec l’étranger : port, aéroport, TGV…
• Médias tournés vers l’International (par exemple Euronews à Lyon, CNN à Atlanta)
• Services, équipements, conseils de niveau international : recherche et développement, Télécoms, finances, assurances, audits, avocats, palais des congrès…
• Événements économiques, socioculturels et/ou sportifs de niveau et de notoriété international(e). Festival, colloques, congrès (pensons à Seattle ou à Davos,…) compétitions sportives. Il faut que certains de ces événements soient récurrents.
• Appareil de paradiplomatie : services ayant pour vocation l’international, consulats…
• Alliances stratégiques avec les villes étrangères hors des jumelages classiques.
• Éléments de cosmopolitisme. Les groupes ethniques peuvent être le support d’échanges et de coopérations internationaux.

Dans cette grille de mesure de l’internationalité, certains critères sont plus importants que d’autres, mais il faut atteindre une masse critique minimale pour chacun d’entre eux. Il est évident, dans cet esprit, que cette évaluation doit se faire à l’échelle métropolitaine : Nantes et Saint-Nazaire.
Pour cela, il paraît nécessaire de doter la Métropole d’un embryon d’organisation qui pourrait être un outil de marketing territorial et stratégique.
Au fond, les atouts à réunir pour être attractif en Europe ne sont pas très différents de ceux qui font le succès de Nantes/Saint-Nazaire à l’échelle nationale. Encore faut-il les promouvoir au niveau européen.

Quelques exemples et propositions pour illustrer le propos :
• Tourisme : promotion forte et ciblée de la façade Atlantique ; promotion particulière de l’offre métropolitaine en Europe ; création d’un produit phare pour la métropole par exemple sur le thème du voyage.
• Mentalités : ouvrir et former les acteurs et personnels du tourisme et de l’accueil (hôtels, restaurants, taxis….) ; informer en langue étrangère (bus, tram, sucettes…) ; recruter des personnels étrangers dans les services d’accueil (villes, office du tourisme, Cité des Congrès…) ; organiser des « soirées internationales »…
• Cultures, sports, économie : créer, promouvoir, attirer des événements à notoriété européenne (Folle Journée, Tournoi international de Nantes, Carnaval, Festival « du » Continent, Contre-Davos…).
• Recherche et Université : attirer des chercheurs et des enseignants européens ; valoriser la Maison Internationale ; développer les échanges de professeurs, chercheurs, étudiants ; créer l’université virtuelle des cultures européennes…
• Acteurs internationaux : prospection d’entreprises, d’organismes à vocation internationale (ONG, Autorités européennes…), d’agences ou d’instituts gouvernementaux ; création de médias à rayonnement international… Pourquoi pas un journal européen avec le groupe Ouest-France ? Il faut aussi conforter Eur@dioNantes créée récemment et qui a cette vocation pour le média radiophonique
• Créer, développer, animer des lieux de vie par et pour des populations étrangères implantées à Nantes : classes, collège et/ou lycée internationaux ; Maison internationale des chercheurs ; conférences, rencontres, spectacles, expositions…

Des candidats étrangers aux élections ?
D’une façon générale, il apparaît nécessaire de susciter une vie internationale dans la Métropole (à Nantes plus particulièrement) , d’ouvrir les esprits, d’équiper la ville, en complément à ce qui existe, d’outils et de services spécifiques orientés vers l’international.
De ce point de vue, il serait pertinent d’avoir un ou des Européens, non-Français, dans les listes électorales.
La promotion de la Métropole est inexistante eu Europe. Il faut donc la construire et la mettre en œuvre, tant, il est vrai que l’attractivité ne peut fonctionner sans promotion.
Là encore, l’outil proposé de marketing territorial métropolitain aura son utilité, étant entendu que cette promotion concernera les acteurs divers déjà mentionnés et devra servir la stratégie partagée. Sa mission pourrait tenir en quatre points : étalonner la situation actuelle de Nantes/Saint-Nazaire en Europe ; capitaliser les travaux et études diverses déjà réalisées ; faire vivre une conférence et des rencontres métropolitaines ; élaborer avec les acteurs concernés une stratégie de positionnement en Europe.