juillet-août 2016

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À propos des seniors
et de leur rapport
à la politique
Texte > Goulven Boudic


GOULVEN BOUDIC enseigne la science politique à l’université de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique.

résumé >Ils votent plus que les autres. Mais les plus de 60 ans donnent-ils plutôt leurs suffrages à la droite par conservatisme supposé ? Et votent-ils préférentiellement pour des candidats qui leur ressemblent, c’est-à-dire âgés ? Éléments de réponses avec le politiste Goulven Boudic.


1. Sur-participation électorale

À l’heure de la «
démocratie de l’abstention», le civisme des seniors tranche avec les pratiques d’éloignement et d’intermittence qui caractérisent de plus en plus les comportements électoraux. Le différentiel de participation entre les seniors et l’ensemble de la population est d’autant plus élevé que l’on se trouve en présence d’élections de second rang (municipales, européennes, départementales…): le taux de participation des seniors est en moyenne plus élevé de quinze à dix-sept points selon les enquêtes. Or, même si l’élection présidentielle, qui voit ce différentiel s’atténuer quelque peu, est centrale dans le jeu politique français, toutes ces élections intermédiaires n’en jouent pas moins un rôle structurant dans le recrutement de la classe politique professionnalisée. Du fait de ce surcroît civique, leur poids électoral s’en trouve implicitement renforcé.


2. Du conservatisme
supposé des seniors

«
Révolutionnaire à 20 ans, conservateur à soixante»: telle était la formule probablement apocryphe attribuée à François Mitterrand au lendemain des événements de mai1968. Le vieillissement produit-il inéluctablement une évolution progressive vers un vote de droite? Les enquêtes convergent de fait et semblent souligner la prépondérance très nette chez les seniors d’un vote conservateur, qui bénéficie traditionnellement à la droite parlementaire.
Dans la région, les exemples ne manquent pas. Alors que la métropole nantaise accueille 20,4
% de plus de 60 ans sur son territoire, ce pourcentage monte à 56,9% aux Sables-d’Olonne; à 45,1% à La Baule et à 36,7% à Pornic, toutes terres de mission pour la gauche – Nicolas Sarkozy, en 2007 comme en 2012, y aurait parfois été élu dès le premier tour…
Faut-il pour autant y voir l’effet du seul vieillissement, qui constituerait dès lors une variable indépendante
? On peut en douter. L’explication est plutôt à rechercher dans les caractéristiques mêmes de ce groupe des seniors, défini la plupart du temps comme regroupant les électeurs de plus de 60 ans. En effet, ce groupe, du fait du cumul de plusieurs inégalités, se différencie du reste du corps électoral par sa féminisation (hommes et femmes ne sont pas égaux en matière d’espérance de vie), par l’origine professionnelle de ses membres – selon les plus récentes données de l’Insee, les hommes cadres vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les hommes ouvriers, ce qui explique qu’on retrouve dans ce groupe une plus grande proportion d’anciens cadres, de professions libérales et d’indépendants –, par la détention plus fréquente d’un patrimoine (propriété de la résidence principale, d’une résidence secondaire, livret A ou portefeuille boursier, etc.). Ces inégalités peuvent aussi être fortement territorialisées. Pour ne prendre en compte que ces deux données, à la fois le revenu moyen par foyer fiscal et le pourcentage des foyers imposés, La Baule propose un contraste saisissant avec une commune de l’agglomération nantaise comme Saint-Herblain: 24033€ contre 19879€ et 71% contre 66,3%; et plus encore avec une autre commune comme Ancenis, à l’autre bout du département (19105€ et 59,4%).
Autre élément d’explication
: les générations plus âgées sont plus fortement marquées, même celle formée autour de mai1968, par l’attachement au catholicisme qui reste une variable déterminante dans la structuration d’un vote conservateur (sous la forme de l’auto-déclaration ou de la pratique: 19% de pratiquants contre 3% pour les plus jeunes générations). Si l’on neutralise ces données, l’âge ne constitue pas un facteur explicatif à lui seul d’une quelconque inclination conservatrice. Comme l’écrit le chercheur Bernard Denni  : « Le conservatisme des seniors n’est pas une affaire d’âge», mais bien un «effet de composition sociologique».



3. L’âge du capitaine

Il convient d’éviter ici tout simplisme. Sur ce critère de l’âge, comme sur d’autres critères, le mandat représentatif n’inclut aucune obligation de représentativité «
réelle». Pour le dire autrement, rien ne prévoit que des jeunes doivent représenter d’autres jeunes, des vieux d’autres vieux, et que ceux-ci occupent dans le monde représenté une place proportionnelle à ce qu’ils sont dans la société réelle. L’argument du «jeunisme» est souvent avancé, et, parfois avec raison, pour défendre cette marge laissée au phénomène représentatif. Après tout, c’est Bernie Sanders, 73 ans, qui a semblé porter avec éclat la mobilisation d’une grande part des jeunes électeurs américains lors des primaires démocrates.
Il n’empêche que si l’on regarde l’évolution de la moyenne d’âge des élus sur une longue période, le constat est incontestable d’un vieillissement de la classe politique, qui excède la seule explication par le vieillissement général de la société française. Le déroulement de la carrière politique en France, qui passe par la succession d’étapes obligées avant d’accéder aux mandats nationaux, aggrave le phénomène. Aujourd’hui, quand la moyenne d’âge d’entrée en fonction des députés est de plus de 57 ans, un quadragénaire peut faire figure de «
jeune» en politique.
C’est un grand problème de la science politique et plus encore de la théorie politique que d’apprécier non seulement la réalité mais aussi la légitimité de ces écarts. Jusqu’où, jusqu’à quand sont-ils tolérables
? Comment et pourquoi sont-ils encouragés par la dynamique même de la représentation? La question de l’âge n’est pas la seule posée par ceux qui voudraient construire une «juste représentation». Les catégories socio-professionnelles, on le sait, ne bénéficient pas d’un égal accès aux mandats politiques. La place des femmes a également fait l’objet d’un constat identique, qui a amené le législateur à prévoir une obligation de parité. Faudra-t-il dès lors envisager une parité d’âge, qui déboucherait sur une limitation de la place des seniors dans la représentation politique? Ou élargir les interdictions de cumul, aujourd’hui limitées au nombre de mandats détenus simultanément, au cumul dans le temps?



4. Les effets politiques,
des hypothèses

Au plan national, plusieurs observateurs ont vu dans le poids électoral croissant de cette catégorie des seniors l’origine de certaines inflexions et de certains choix politiques, privilégiant globalement la rente et le capital plutôt que le travail
; les générations profitant de la retraite, plutôt que les jeunes; la préservation des intérêts immédiats de ces générations plus âgées plutôt que des choix d’investissements et de politiques préparant l’avenir (éducation, enseignement supérieur, recherche, environnement). Le sociologue Louis Chauvel a tenté à plusieurs reprises depuis la fin des années 1990 de contribuer à la politisation d’un conflit générationnel, forme nouvelle ou actualisée de l’ancien conflit de classe.
Laurent Davezies, dont les travaux sur l’économie résidentielle ont été particulièrement bien reçus par les élus locaux, a eu aussi de son côté le mérite de souligner l’un des «
effets pervers» de sa propre redéfinition de la base économique d’un territoire, intégrant l’ensemble des revenus et des richesses produites, distribuées et consommées sur ce même territoire. Mettant en évidence l’économie résidentielle comme moteur du dynamisme économique, mais insistant parallèlement sur l’équilibre nécessaire (le «mix») entre économie résidentielle et économie productive, Laurent Davezies a maintes fois mis en garde des élus locaux parfois plus soucieux d’attirer et de fixer des populations de retraités (si possible aisés) plutôt que des activités industrielles. Le développement social et démographique s’en trouve dès lors découplé du développement productif et le développement local de plus en plus réduit à la mise en valeur d’une rente paysagère…
Un éventuel futur conflit générationnel ne prendra-t-il pas aussi la forme d’un conflit de territoires
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