Jean Renard dans Place publique

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Place publique #72
automne 2019

LE GÉOGRAPHE A MIS EN ÉVIDENCE LES LIENS ENTRE LA MÉTROPOLE ET LE VOISIN VENDÉEN

« Nantes, capitale des deux tiers de la Vendée »

> Il a arpenté les bocages vendéens durant des années pour ses travaux de recherche. Le géographe Jean Renard est un de ceux qui ont mis en exergue les relations entre la métropole nantaise et la Vendée. Elles dépassent le simple voisinage et le développement économique porté par le « modèle vendéen » a modifié et intensifié les rapports avec l’estuaire de la Loire.

Place publique >Comment le géographe que vous êtes a-t-il été amené à travailler sur la Vendée?
Jean Renard >J’étais Parisien et j’ai épousé en 1958 une jeune vendéenne qui suivait des études de pharmacie. Je me suis retrouvé nommé à Nantes au lycée Clemenceau, puis ensuite à l’université à sa création, pendant que mon épouse avait une officine en Vendée, donc j’ai fait l’aller-retour durant un certain temps.
Ceci étant, le sujet de ma thèse sur les campagnes nantaises m’avait été suggéré par le P
r Pierre George dont j’avais été l’élève à la Sorbonne. On était à l’époque, au début des années soixante, sur les rapports entre les villes et les campagnes et la question des structures foncières, c’est-à-dire de la possession de la terre autour des grandes métropoles, était en particulier étudiée.

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Ces campagnes nantaises, jusqu’où s’étendaient-elles?
Jean Renard >Ça a justement été une des difficultés rencontrées en tant que jeune chercheur: jusqu’où l’influence nantaise à travers les structures foncières pouvait-elle s’établir? Les bocages vendéens en faisaient partie puisque dans les relations entre ville et campagnes, nombre d’aristocrates vendéens ou la bourgeoisie locale possédaient des terres et étaient Nantais par filiation, par mutation ou par mobilité. À Nantes, une bonne partie du quartier de la cathédrale et du boulevard Guist’hau étaient ainsi en quelques sorte aux mains des terres du bocage vendéen, du Choletais et de la Loire-Atlantique

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Un pied dans les beaux quartiers de Nantes et l’autre pied en Vendée…
Jean Renard >C’est cela, une sorte de résidence secondaire dans des châteaux ou des habitats en Vendée et à Nantes. Leurs enfants étaient voués à des études de droit ou de médecine qu’ils allaient suivre à Rennes, à Paris ou ailleurs puisque jusqu’en 1962, il n’y avait pas d’université à Nantes.

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Justement, comment, dans les années qui ont suivi sa cration, l’université est-elle parvenue à capter ces flux d’étudiants vendéens?
Jean Renard >La faculté de droit ouvre, celle de médecine et de pharmacie grossit et c’est surtout l’époque où les études supérieures vont se démocratiser et les jeunes vendéens affluer à Nantes et non plus, comme autrefois, peupler les séminaires.

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N’y a-t-il pas alors une crainte ou des préventions de ces familles vis-à-vis de l’université publique?
Jean Renard >Si, pour certaines, mais il n’y a pas seulement une aristocratie de droite conservatrice, nous rencontrons également une élite bourgeoise républicaine qui envoie ses enfants à Nantes, en particulier en droit ou en médecine.

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Quelles évolutions avez-vous constaté dans ces campagnes nantaises?
Jean Renard >La Vendée, comme le Choletais, selon l’expression de mon collègue Alain Chauvet2, est un «isolat», c’est-à-dire un territoire replié sur lui-même avec ses valeurs, ses pratiques, ses comportements politiques et religieux, avec les rôles classiques du curé et du grand propriétaire, qui cumule les fonctions de maire et de conseiller général et fait le lien entre les paroissiens et l’extérieur. La Vendée à ce moment-là est une collection de paroisses, des copies conformes en quelque sorte. Quand vous en avez analysé une, vous en avez analysé cent, à de rares exceptions. Ces exceptions, ce sont celles du nord-est de la Vendée et d’une petite industrie fondée sur les valeurs locales.
Lorsque j’arrive en Vendée en 1960, c’est un département agricole, rural
: il perd ses enfants qui partent travailler dans les administrations et les usines des banlieues nantaise et surtout parisienne. Tout cela a radicalement changé en deux générations et c’est là tout l’intérêt de la Vendée qui est devenu au contraire un pays d’accueil, en forte croissance démographique, dans lequel l’industrie s’est répandue sur l’ensemble du territoire. Les industries classiques du textile, de la chaussure et autres ont été remplacées par une diffusion considérable de l’agro-alimentaire, avec de grosses firmes comme Fleury Michon, Sodebo, etc., et des industries qui travaillent désormais pour les grands donneurs d’ordre de l’estuaire, en particulier Airbus et les Chantiers de l’Atlantique.

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Comment cette mutation s’est-elle opérée?
Jean Renard >C’est un peu le mystère du modèle vendéen. Les gens se sont pris en charge eux-mêmes. Depuis la Révolution, ce territoire avait ses pratiques et ses comportements particuliers. En même temps, ces valeurs imprégnaient l’ensemble du corps social et en particulier le travail. Il existe une véritable religion du travail bien fait.
Des insuffisances subsistent, bien sûr. Ainsi, aujourd’hui encore, les salaires sont bas, les formations sont plutôt secondaires que supérieures. Il n’empêche que la Vendée désormais est d’abord un département industriel, en forte croissance démographique et avec un un très faible taux de chômage.

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Des figures d’entrepreneurs et de politiques ont porté ces mutations…
Jean Renard >Elles ont été réalisées par les hommes. Tous ces gens sont sortis des séminaires et ne sont pas devenus prêtres, mais chefs d’entreprise, d’autres hauts cadres dans des banques. Le territoire a été modelé par les hommes et il n’y a pas de malédiction comme on aurait pu le penser en 1960, au contraire.

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Quelle a été l’évolution des relations avec Nantes?
Jean Renard >Elles étaient donc à l’origine surtout foncières, mais avec la naissance de l’université, des «hordes» de jeunes vendéens s’y sont précipitées, souvent en sciences sociales. D’autre part, les industries nantaises ont eu besoin d’une main d’œuvre expérimentée et à bas salaire: elles se sont tournées vers la Vendée, laquelle, face à la crise du textile et de la chaussure, a su se transformer pour devenir ces fameux sous-traitants. La commune de Mouchamps fabrique ainsi les salles de bain en kit pour les paquebots construits aux Chantiers de l’Atlantique et nous pourrions multiplier les exemples.

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Aujourd’hui, la métropole Nantes/Saint-Nazaire a besoin de la Vendée?
Jean Renard >Tout à fait. Désormais l’estuaire nantais vit en symbiose avec le Choletais et les bocages vendéens.

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Que pense le géographe de l’affirmation selon laquelle Nantes est la capitale de la Vendée?
Jean Renard >Bien sûr, au moins des bocages. La partie sud de la Vendée, avec Fontenay-le-Comte et Luçon, ressort d’un autre domaine autour de LaRochelle et Poitiers. Mais si le dernier tiers regarde vers le sud, les deux tiers du département sont plutôt nantais.
N’oublions pas qu’en 1947, Michel Debré, chargé par le général de Gaulle de revoir la carte administrative de la France et de diminuer le nombre de départements, en avait proposé un unique associant Loire-Atlantique et Vendée.

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Du côté de la recherche, peu d’universitaires semblent aujourd’hui s’intéresser à la Vendée, à ses relations avec ses voisins…
Jean Renard >Oui, il n’y a plus à ma connaissance de chercheurs qui ont vocation à travailler sur la Vendée, c’est un peu dommage. Lorsque j’étais à l’université, j’avais fait soutenir toute une série de thèses de jeunes chercheurs, mais comme ils n’ont pas été recrutés à Nantes, ils se sont désintéressés du cadre vendéen. n




1. Soutenue en 1975, la thèse de Jean Renard, Les évolutions contemporaines de la vie rurale dans la région nantaise (Loire-Atlantique, bocages vendéens, Mauges), a été publiée par les éditions Le Cercle d’or, aux Sables-d’Olonne, en 1976.
2. Voir Alain Chauvet, Porte nantaise et isolat choletais
: essai de géographie régionale, Éditions Hérault, Maulévrier, 1987. Le géographe, disparu en 1997, était de l’équipe qui a fondé et animé l’Institut de géographie et d’aménagement régional de l’université de Nantes (Igarun).